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Compte-rendu : Siegfried à l’Opéra Bastille - Pas dragon


Allez, concédons à Günter Krämer une qualité : son Siegfried, comme l’étaient déjà Rheingold et Walküre, est didactique, à cent lieues de bien des divagations dont L’Anneau fut souvent affublé. Oui, mais cette lisibilité qui n’élucubre pas ne décolle pas non plus. Que Siegfried puisse être simplet n’excuse pas de le faire si uniment rustaud et décidément peuplissime. Bon garçon sans zone d’ombre d’accord, mais incapable d’aimer sa Brünnhilde à ce point et si quasiment jamais héroïque, à la fin Siegfried n’est plus dans Siegfried. On passera sur les aménagements : Mime cultive son chanvre et joue les travelos domestiques (et pourquoi non, il se dit après tout la mère de Siegfried, mais tirer de ce pied de la lettre un tel glissement…), les syndicalistes de Rheingold sont devenus des indigènes et se sont fait avoir, on leur a refilé des kalachnikovs à la place de l’or du Rhin, et tutti quanti.

On voit le fil se dérouler, on n’en croit pas ses yeux devant la laideur des costumes et des décors, et à part soi, on soupire après les casques et les lances, et le vrai œil mort de Wotan, qui à la place n’a qu’un bleu au front (quelle perte de sens sur un simple détail). Ici où là quelques idées, dont ce Wanderer un peu éméché qui se dévoile en libérant les runes de sa lance du lierre, où la bureaucratie des enfers d’Erda dédoublée dans un grand miroir de cintres - dont décidément Yannis Kokkos aurait du déposer le modèle -, ou encore cette très laide forêt en rideau dont le gonflement semble calé sur le souffle du dragon endormi (sauf qu’une fois le dragon mort cela recommence ; on n’a pas dû bien comprendre). Et lorsque les sentiments doivent paraître, lorsque l’amour de Siegfried doit éveiller Brünnhilde, Krämer s’enfuit littéralement, terrorisé. Il ne sait pas faire.

On ferme les yeux et c’est alors l’oreille qui entend, en général pas assez. Que Torsten Kerl chante son Siegfried est indéniable, mais cette petite voix que Jordan ne couvre jamais et que le metteur en scène fait donner toujours au devant de la scène, n’est en rien celle de Siegfried. Pourtant il va au bout du rôle, s’y aguerrissant à mesure, en caractère comme en volume. Mais ce tour de force induit pour être entendu dans la glacière de Bastille un orchestre bâillonné, et descendu tout au fond de la fosse : n’a pas l’acoustique de Bayreuth qui veut.

Il faut que Juha Uusitalo cesse de chanter Wotan : constamment dans le masque il n’a plus grand-chose d’un baryton. Les quelques mots d’Alberich soulignent plus chez Peter Sidhom l’acteur, toujours juste, que le chanteur, en voix de bois. L’Oiseau d’Elena Tsallagova enchante des coulisses, mimé en scène par une comédienne vouée à un pseudo langage de sourds muets (que Siegfried comprend et « parle », ouf !), et même si cela est réussi on ne peut s’empêcher de regretter son absence sur les planches, surtout avec le physique divin qu’elle a. Deux mots de Qiu Lin Zhang suffisent pour rappeler ce qu’est une grande voix wagnérienne - et quelle vraie présence de tragédienne, aveugle et voyante pourtant. Stephen Milling est clouant vocalement (quel Hagen il ferait, mais non, vous aurez Hans-Peter König !) mais transformé en roitelet de la jungle peu crédible et puis on veut son dragon, Siegfried sans dragon n’est pas Siegfried ; le II de Siegfried sans oiseau, sans dragon, sans merveilleux, allons !

Abandonnée sur le grand escalier du Walhalla où grimpait allégrement la parabole politique portée par les athlètes de Riefenstahl à la fin de L’Or du Rhin, Katarina Dalayman chante sur des œufs, obsédée par ces trois contre ut qu’elle donne propres mais sur lesquels elle ne tient guère. Un mot ici aucun autres ailleurs, timbre tiré, couleurs sans feu : elle n’avait pas chanté la générale, on comprend pourquoi.

Tout cela ne fait pas, en distribution wagnérienne, un Siegfried au niveau que se doit d’offrir la Grande Boutique, mais c’est d’abord à Philippe Jordan que vont nos foudres : cette réserve sans grandeur, ce tempo endormi, cette absence de caractère dramatique, ce symphonisme minimaliste ne sont pas d’un wagnérien.

Deux bravos : Wotan détruit remontant au Walhalla soutenu par les Walkyries (mais cette image forte, la seule de toute la soirée, est gâchée par un rideau qui tombe trop vite), et le Mime simplement anthologique de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, chanté comme rarement (en fait plus comme cela depuis Kuen !), de caractère subtilement détaillé et qui montre derrière le musicien consommé un acteur génial. Il fait le show, on ne créditera pas Krämer de ce succès.

Jean-Charles Hoffelé

Richard Wagner : Siegfried – Paris, Opéra Bastille, 1er mars, prochaines représentations les 6, 11, 15, 18, 22, 27 et 30 mars 2011. www.operadeparis.fr

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Photo : DR

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