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Compte-rendu : Roméo et Juliette de Thierry Malandain à Biarritz - Quand Berlioz mène le bal

« Nous sommes tous des Roméo et Juliette », semblent dire les danseurs qui chacun leur tour, se glissent sous les profils des amants de Vérone, au fil du drame revisité par Thierry Malandain : jusqu’à ne faire qu’une vague de corps enlacés, virevoltants, puis fracassés et avalés par le néant. Tandis que Frère Laurent, survivant désespéré de ce tourbillon de passions qu’il ne contrôle pas, ferme l’histoire, porteur de toutes ses incapacités à éclairer les hommes : il a tout permis, et il n’a rien pu empêcher.

C’est là une œuvre forte, sans pitié que nous livre le chorégraphe, et pour laquelle il reprend comme jadis Béjart, le Roméo de Berlioz. C’est dire que la splendeur musicale est au rendez-vous, donnant des ailes à la danse. Malandain a choisi d’élaguer l’œuvre de Berlioz, avec une liberté que lui permet la forme souple de la partition, construite sans vrai déroulement anecdotique, ne s’en tenant qu’aux protagonistes essentiels. Le mal social, les parents, sont ici dans la coulisse, même s’ils pèsent de leur implacable poids d’inanité sur le déroulement du drame.

Le « Faites l’amour, pas la guerre » qui claqua si fort avec l’étendard béjartien, a fini de résonner depuis longtemps, et ce Roméo et Juliette que son créateur n’aimait plus - sans doute parce ce que ce fils du temps le trouvait trop daté - s’est peu à peu éteint. Il fut pourtant un absolu chef d’œuvre. Malandain, lui, affronte le mythe en le conduisant vers un terme d’angoisse et de solitude, là où Béjart avait épousé le pompiérisme berliozien dans un grand crescendo humaniste. Le chorégraphe, pour néo-classique qu’on le dise, est surtout un romantique moderne, et son ballet, rapide, nerveux, violent - il a d’ailleurs choisi la version Gardiner, qui colle à son esthétique d’urgence -, témoigne d’une formidable intelligence musicale et scénique. Les corps se mêlent et se heurtent au fil d’une chorégraphie à la fois sinueuse, sensuelle et âpre, constamment exacerbée sans pour autant perdre sa structure. Des idées majeures se jouent des problèmes posés par la partition : ainsi le Scherzo de Mab, où la  « messagère » se révèle être Mercutio, vite balayé par Tybalt. En un éclair, tout est joué.

Le décor, lui, offre une vision austère, avec des malles en aluminium pour tout horizon : elles sont murs, tables, sièges, lits, coffres, cercueils. Un rien trop présentes peut-être car la chorégraphie est suffisamment nourrie pour pouvoir les laisser de côté. Minimalisme donc pour le cadre, maximalisme pour les danseurs, car la troupe, désormais devenue Malandain Ballet Biarritz y brille, portée par une nouvelle jeunesse qui vient allumer les formidables piliers de la troupe, de Giuseppe Chiavaro à Silvia Magalhaes, et au superbe Frederick Deberdt, frère Laurent à la tragique présence. Mais tous seraient à citer, car ici point n’est de vedette. Ils sont engagés au même titre dans l’aventure, qui le leur rend bien. Il va de soi que ce Roméo et Juliette, créé à Vérone fin août et plébiscité par la critique italienne, marque le sommet du Temps d’Aimer la danse, ce festival annuel où se croisent tellement de tendances que la carte, sur vingt ans, en est intraçable. A preuve, la présence cette année, de Victor Ullate, de Marie-Geneviève Massé, de Kader Belarbi et d’une foule d’autres, confirmés ou naissants. Le flux et le reflux de la danse, tel est le message de la manifestation biarrote.

Jacqueline Thuilleux

Biarritz, 20e Festival « Le Temps d’Aimer la danse », jusqu’au 19 septembre 2010

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