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Compte-rendu - Roger Muraro au Festival de Sceaux - Un piano-orchestre pour Berlioz


« Si vous acceptez l’idée de programmer cette oeuvre, je me lance dans l’aventure », avait dit en substance Roger Muraro à Jacqueline Loewenguth. Le « banco » de la directrice du Festival de l’Orangerie de Sceaux au pianiste nous a valu un sacré moment de musique et de piano à l’occasion du week-end inaugural de la 40e édition de la manifestation ! On l’attendait avec impatience et curiosité car rares sont en effet les interprètes qui osent – et peuvent oser… – s’aventurer dans la transcription que Liszt réalisa de la Symphonie Fantastique de Berlioz.

Aux capacités digitales, il faut en effet ajouter l’imagination sonore, l’infinie palette de timbres sans lesquelles la partition tombe dans la démonstration virtuose, vaine et bruyante. On ne court pas ce risque avec Muraro comme le prouvent déjà en exergue du concert le souffle poétique de la Chapelle de Guillaume Tell ou les reflets irisés d’Au bord d’une source de Liszt. L’écriture de ce dernier ne paraît que plus visionnaire mise en regard avec le 1er Livre d’Images de Debussy que l’interprète explore avec liberté, émerveillement, et une émotion parfaitement contenue dans un étreignant Hommage à Rameau.

Par la fréquentation d’auteurs tels que Messiaen, mais également Ives par exemple (dont il a signé un très bel enregistrement live de la monumentale Sonate « Concord » paru il y a quelques mois), Muraro a développé une stupéfiante aisance à manipuler le matériau sonore le plus complexe, le plus touffu, à littéralement « pétrir » le clavier. Elle lui a été précieuse dans une Fantastique qu’il a su « tenir » de bout en bout avec maestria, sans jamais céder à l’effet de manche ni perdre fil du discours musical. Coloriste hors pair, Muraro suggère toutes les couleurs de l’orchestre : des pizzicati des contrebasses à la sonorité nasillarde de la petite clarinette, on se laisse prendre par le relief de l’approche autant que par sa puissance évocatrice – on n’est pas près d’oublier la panthéiste respiration de la Scène aux champs... Ainsi portée par ce véritable « piano-orchestre », la transcription de Liszt ne nous laisse aucunement « en manque » de l’original mais, dans un enthousiaste mouvement d’«appropriation créatrice » donne accès à un univers sonore neuf, ou en tout cas parfaitement autonome.

Puisse Roger Muraro avoir l’occasion de reprendre cette transcription dans d’autres salles. Elle démontre avec une rare force de conviction à ceux qui persistent à en faire un « spécialiste de Messiaen » que l’artiste est, d’abord avant tout, l’un des très grands interprètes de notre époque. Bonne nouvelle enfin, un enregistrement de la Fantastique se profile à l’horizon.

Alain Cochard

Festival de l’Orangerie de Sceaux, le 12 juillet 2009

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Photo : DR

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