Journal

Compte-rendu : Reprise des Noces de Figaro à l’Opéra Bastille - Une belle pièce de musée


Elles reviennent de loin, de très loin même, ces Noces de Figaro d’un Mozart de 30 ans enluminées par le génial Giorgio Strehler en mars 1973… à l’Opéra royal de Versailles histoire de réconcilier la République avec l’Ancien Régime ! C’était l’idée géniale et lourde de riches symboles d’un Rolf Liebermann qui inaugurait ainsi un règne de sept ans à l’Opéra de Paris et dont on fête en 2010 le centenaire de la naissance.

Reprises régulièrement y compris par les successeurs de Liebermann durant trois décennies, ces Noces mythiques passèrent même des ors du Palais Garnier à la modernité agressive de l’Opéra Bastille y perdant, avec de nouveaux décors surdimensionnés, une partie de la poésie XVIII è siècle que Strehler et son décorateur Ezio Frigerio avaient su leur conférer. Depuis longtemps aussi autre chose s’est perdue au fil du temps : l’art de l’éclairage du plus grand metteur en scène italien du XXe siècle. Car ce sont les lumières du magicien du Piccolo teatro de Milan, qui replaçaient ce spectacle dans le monde subtil de Watteau et de Fragonard.

On pense, bien sûr, au nocturne si délicat du IV è acte qui nous transporte dans l’un des théâtres de verdure du parc de Versailles. Tout cela est perdu à jamais. Et cette reprise décidée par Nicolas Joël en hommage à Liebermann n’a pu se réaliser que grâce aux décors conservés à la Scala de Milan, car ceux de l’Opéra de Paris ont été détruits par Gerard Mortier ! Faute des éclairages d’origine, le décor du premier acte ressemble plus à une usine désaffectée qu’au palais du Comte Almaviva. Après tout, ceux qui n’ont jamais vu ces Noces avant ne s’en apercevront sans doute pas dans cette soirée qui a les apprêts du musée. En revanche, ils percevront les faiblesses de la direction d’acteur, notamment durant les airs des protagonistes, en particulier le Comte et la Comtesse pratiquement livrés à eux-mêmes.

Cette fois, c’est l’espiègle et irrésistible Susanne qui mène la danse en la personne de la soprano russe Ekaterina Syurina. Elle est secondée par son Figaro de promis, l’excellent baryton italien Luca Pisaroni, hélas moins à l’aise dans son jeu. Digne successeur de Gabriel Bacquier dans le rôle du Comte, le baryton Ludovic Tézier a l’abattage vocal, mais les conseils de Strehler lui font cruellement défaut au troisième acte. A signaler un Bartolo de luxe avec la grande basse britannique Robert Lloyd.

Sans vraiment démériter, la mezzo Karine Deshayes campe un Chérubin raide de voix et de corps. La déception vient surtout de la Comtesse godiche de la Milanaise Barbara Frittoli à la voix sans éclat. Heureusement, Philippe Jordan convoque Mozart dans la fosse qui resplendit et chante comme jamais… en dépit des aléas acoustiques du lieu. Il aide à retrouver un peu de la magie du spectacle d’origine.

Jacques Doucelin

Opéra Bastille : 26 octobre. Prochaines représentations : 28 octobre, 3, 76, 9, 11, 15, 18 novembre, 19h30 ; 31 octobre, 21 et 24 novembre, 14h30.

08 92 89 90 90

www.operadeparis.fr

Diffusé en léger différé le 3 novembre par France 3 à 20h35.

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jacques Doucelin

Partager par emailImprimer

Derniers articles