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Compte-rendu : Prima donna sans lac - La Donna del lago au Grand Théâtre de Genève

Joyce DiDonato n’a décidément pas de chance avec Genève. À chaque fois qu’elle choisit d’y défendre des chefs-d’œuvre trop rarement montrés, c’est pour lutter contre la conception nihiliste de metteurs en scène tournant délibérément le dos à l’œuvre. Après l’Ariodante de Pierre Strosser, voici La Donna del lago signée de Christof Loy. Le résultat est à peu près le même : une quasi-version de concert refusant toute incarnation des personnages et des situations.

De la brume mélancolique et de l’Ecosse légendaire de La Dame du lac de Walter Scott, ne reste sous l’œil du metteur en scène allemand qu’un théâtre dans le théâtre poussif, dans un décor unique, d’une laideur digne d’une salle des fêtes désaffectée des années 70. Les murs sont uniformément beiges et la lumière (aux néons bien sûr) uniformément blanche, comme pour accentuer la froideur de ce réalisme cracra. Le lac, il faudra un peu forcer la vue pour l’apercevoir un cours instant dans un coin de la scène sur un écran de fortune… sorti d’une diapositive en noir et blanc ! Cette caricature du plus mauvais théâtre allemand est d’autant plus dommage que Christof Loy a un sens du détail qui fait souvent mouche quand il s’agit de diriger les chanteurs. L’idée par exemple de faire du mezzo Malcolm un double d’Elena en l’habillant de façon identique a sa pertinence. Encore eut-il fallu attifer Elena autrement qu’en vieux dufflecoat et bottes de CRS ! Bref, en limitant la part de rêve à un décor de carton pâte sous prétexte de vouloir ancrer le chant dans un environnement matérialiste, Christof Loy fait davantage dans l’auteurisme déplacé qu’il ne convoque le romantisme et la fantasmagorie. Les huées n’ont pas manqué le soir de la première.

Heureusement, il y a la musique. On aura rarement entendu un chef aussi intelligemment rossinien que Paolo Arrivabeni. Lissé des violons, verve rythmique, clarté des pupitres (superbes soli de cor et de clarinette), il parvient à faire entendre toute la sensualité, plus douce et mélancolique qu’à l’accoutumée, de ce qui constitue peut-être la plus belle œuvre napolitaine de Rossini. Le commencement du deuxième acte se drape de couleurs mozartiennes, conduit avec un souffle qui ne faiblit jamais. Tout comme celui de Joyce DiDonato. Après La Cenerentola, elle se confirme en musicienne exceptionnelle, transcendant d’énormes défis techniques au profit d’une intelligence souveraine du texte et des situations. Il faut la voir prendre le temps d’une cadence très lente au beau milieu de son grand finale « Tanti Affetti », comme si son personnage prenait sa respiration avant de faire le grand saut dans la joie, pour comprendre la qualité de sa sensibilité, en plus de son époustouflante maîtrise vocale.

Du grand art, malheureusement pas toujours bien entouré. En Malcolm, Mariselle Martinez souffre d’instabilité dans les graves et Gregory Kunde réduit son Rodrigo à un ténor héroïque de pacotille par un chant forcé et criard. Le Giacomo de Luciano Bothelo se révèle bien plus musical et plaisant, mais souffre d’un aigu nasillard et d’un manque de puissance, se retrouvant vite débordé dans les duos. La doublure de Juan Diego Florez semblait plus à l’aise à Dijon il y a quelques semaines dans les habits plus modestes du Nemorino de L’Elisir d’amore.

Ne reste plus qu’à attendre La Donna de lago dans la mise en scène de Lluis Pasqual au Palais Garnier à la mi-juin, où Joyce DiDonato reprendra le rôle aux côtés cette fois de Florez et Barcellona. Gageons que le rêve et le romantisme y auront davantage droit de cité…

Luc Hernandez

Rossini : La Donna del lago - Grand Théâtre de Genève, 9, puis les 11, 14 et 17 mai 2010

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Photo : DR
 

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