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Compte-rendu : Pelly ou la grâce de la perfidie - Hänsel und Gretel à Lyon

Laurent Pelly a le chic pour camper un personnage ou une situation avec un sens du théâtre et de l’esthétique qui laisse pantois. Il suffit de voir Michaela Selinger dans son polo à grosses rayures et ses culottes courtes pour ne plus songer qu’à un grand dadais aux cheveux courts et oublier que c’est bien une mezzo qui chante. Hansel est campé. La beauté des décors de Barbara de Limburg fait le reste : une cabane en carton aux multiples cloisons alvéolées, marquées du scotch chatterton qui orne le rideau de scène. Toute la pauvreté de ceux qui ont « un trou dans le porte-monnaie et un plus grand dans l’estomac » est posée. Toute la chaleur aussi, loin du misérabilisme.

Les enfants présents dans la salle ne rêveraient que d’aller se blottir dans les oreillers miteux de ce foyer de bohème ! En orfèvre, Pelly joue des ouvertures cachées pour animer un premier tableau parfait, dirigeant comme d’habitude à la perfection les chanteurs. L’entrée du pochetron de père (l’épatant Klaus Kuttler) se prenant les pieds dans les cartons en chantant son « Tra la la la la » est à elle seule un petit bijou de théâtre. Dans une scénographie d’une totale cohérence, la forêt que l’on découvre ensuite est elle aussi en carton, sans feuillage, asséchée, comme un monde qui attend la pluie des rêves.

Après une hilarante séquence en ombre chinoise d’essayage de balai par une sorcière hommasse en talons aiguilles qui a bien du mal à s’envoler, le monde des rêves arrive enfin, et c’est un cauchemar : une montagne de sucreries et sodas étalés dans des rayons de supermarché qui montent au ciel, tenue par une sorcière travestie au ventre velu sous une poitrine maternelle ! Difficile d’imaginer plus belle transposition contemporaine de l’univers des frères Grimm. Cet imaginaire qui lorgne vers l’Amérique de Tim Burton rend à la fois toute la féerie et l’actualité à cet unique rescapé de la tradition allemande de l’opéra pour enfants. Sans jamais se départir de la douceur et de la générosité d’une comptine, Laurent Pelly en fait par petites touches une fable universelle, évitant tous les pièges de la mièvrerie. Le diable se niche dans les détails d’une scénographie d’une rare intelligence qui évoque tour à tout l’alcoolisme, la déforestation, la pollution, la malbouffe, l’obésité ou l’abus d’enfants ! Du grand art d’adulte pour traduire toute la noirceur et la cruauté des frères Grimm sans jamais en perdre la naïveté et la soif d’imaginaire.

Au cœur de ce petit bijou d’intelligence perfide, la musique fait de même. Résistant à la facilité de tempi trop rapides, le chef Johannes Willig prend le temps de traduire chaque atmosphère avec un lyrisme discret, où s’entend continûment l’émule de Wagner derrière l’inspiration populaire. Une musique littéralement ensorcelante à laquelle l’Orchestre de l’Opéra de Lyon n’a pas tout à fait rendu justice le soir de la première, avec des violons crissants, et des cuivres pas toujours en place. Deux jours plus tard, tout était rentré dans l’ordre. La distribution se révèle d’une belle homogénéité. Dans cet opéra sans basse où la féminité, fût-elle monstrueuse, règne en maîtresse, c’est le truculent Klaus Kuttler en père totalement dépassé par les événements qui traduit vocalement le mieux ce mélange particulier entre la gouaille du chant populaire et le classicisme allemand. Techniquement impeccable, la Gretel de Julia Novikova paraît plus effacée, pâtissant un peu du travestissement haut en couleur de ses deux principaux partenaires, à commencer par la sorcière maquerelle de Wolfgang Ablinger-Sperrhacker qui tire très justement son « Hocus pocus » vers la tradition de la comédie musicale et du cabaret.

Juste après les représentations lyonnaises, cette production idéale ne tardera pas à retourner dans ses cartons pour repartir d’où elle est venue : à Glyndebourne. Elle est désormais à ranger parmi les classiques de Pelly.

Luc Hernandez

Humperdinck : Hänsel und Gretel - Opéra de Lyon, les 8 et 10 juin 2010

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Photo : DR
 

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