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Compte-rendu : Passionnantes prémices - Thamos, roi d’Egypte au 28e Festival de Beaune

La vingt-huitième édition du Festival de musique baroque de Beaune s’est ouverte avec Le retour d’Ulysse dans sa patrie qui venait clore la trilogie lyrique de Monteverdi entamée en 2005 par Rinaldo Alessandrini et son Concerto italiano. Si le style de ces musiciens reste irréprochable, la distribution témoignait d’un certain déséquilibre entre l’admirable Pénélope de l’alto Sara Mingardo et des cadets plus légers. Le choix des tessitures avec un Ulysse baryton Martin au lieu d’un ténor venait encore accentuer le manque de cohérence…

Pour son retour à Beaune sous le signe de Mozart après y avoir dirigé Idoménée, Les Noces de Figaro et Cosi fan tutte, le chef Jérémie Rhorer (photo) choisit lui la curiosité et les plaisirs de la découverte avec un programme construit autour d’une rareté la musique de scène de Thamos, roi d’Egypte, une pièce d’édification maçonnique du chevalier Tobias Philipp von Gebler. Ecrite en 1773 par un Mozart de 17 ans, l’oeuvre comprend plusieurs chœurs, quelques airs et duos, et surtout quatre Interludes orchestraux remarquables. Elle fut complétée en 1779 par un Mozart de vingt-trois ans dans la pleine possession de ses moyens.

Avec beaucoup d’à-propos, le chef débuta la soirée avec l’ouverture de La Flûte enchantée qui fait à bon droit figure d’oratorio maçonnique : les musiciens du Cercle de l’harmonie y firent assaut de timbres rares et particulièrement ajustés pour alterner et fusionner les mondes de la lumière et des ténèbres à la manière de ce qui se passe dans un autre des hauts chefs-d’œuvre mozartiens L’Ode funèbre maçonnique. Le lien entre ce Thamos et La Flûte enchantée se trouve en outre inscrit jusque dans le nom du jeune Tamino, héros de l’ultime opéra de Mozart. Car dans le conte original de Wieland d’où il est tiré, il se nomme encore Pamino avec un « P » comme sa promise s’appelle Pamina. Mozart a sans doute songé au Thamos de sa jeunesse : lapsus ou volonté délibérée ? Wolfgang n’a jamais rien laissé au hasard…

Suivait la Symphonie n°31 dite Paris qu’un certain Legros, patron du Concert Spirituel, commanda à Mozart pour se faire pardonner de lui avoir refusé quelques mois auparavant la fameuse Symphonie concertante ! Vingt minutes de pur bonheur. Mais la vraie surprise de la soirée fut une autre commande de Legros à un Allemand de Paris, Henri Joseph Rigel, avec l’oratorio La sortie d’Egypte, créé en 1774 et repris régulièrement jusqu’en… 1822. Il n’est donc pas exclu que Mozart l’ait entendu durant son ultime séjour parisien en 1778. Ces vingt cinq minutes comptent des chœurs pleins d’une noble grandeur, dont on comprend que Gluck les trouva à son goût et auxquels l’ensemble Les Eléments de Joël Suhubiette rendit magnifiquement justice.

D’une tout autre trempe est évidemment Thamos, roi d’Egypte ! Bien qu’il ne fût pas encore initié lui-même (il le sera seulement en 1784), Mozart n’ignore rien de cette manière de liturgie maçonnique qui fonde la pièce de Gebler. Il fait alterner le mi bémol majeur, tonalité maçonnique par excellence avec ses trois bémols, et son relatif ut mineur, dans des interludes qui constituent autant de petites symphonies sombres ou violemment dramatiques qui annoncent directement le Requiem et La Flûte enchantée. Les commanditaires furent si satisfaits qu’ils demandèrent à Mozart de compléter sa participation six ans plus tard, en 1779, c'est-à-dire un an avant qu’il n’écrive pour la cour de Munich son premier chef-d’oeuvre lyrique Idoménée.

Et cela s’entend : un an après le séjour à Paris, Wolfgang est prêt à voler de ses propres ailes. Inutile d’invoquer le modèle de Gluck pour les chœurs : il puisera naturellement dans les double chœurs de Thamos comme dans les interludes pour l’opulent orchestre d’Idoménée. Quant à l’air final du grand prêtre, il se retrouvera quasiment note à note l’année suivante dans les interventions caverneuses de Neptune, pour ne pas parler du Commandeur de Don Giovanni ou du Sarastro de La Flûte : le grand Mozart est né en 1779. L’orchestre, le choeur et les solistes, la basse Andreas Wolf, la soprano Eugénie Warnier et le ténor Mathias Vidal le démontrent avec autant d’éloquence que Jérémie Rhorer.

Jacques Doucelin

Festival de Beaune, le 3 juillet 2010 (le festival se prolonge jusqu’au 25 juillet) 03 80 22 97 20
www.festivalbeaune.com

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Photo : DR
 

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