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Compte-rendu : Mireille au Palais Garnier - Gounod dans le piège du naturalisme

La fête a été un peu gâchée dès le premier entracte par des sifflets visant à la fois certains chanteurs et les partis pris scénographiques de Nicolas Joel, metteur en scène de cette nouvelle Mireille de Charles Gounod, qui fait ainsi son entrée au Palais Garnier, après une longue carrière Salle Favart, en ouverture du règne du même Nicolas Joel qui succède à Gerard Mortier à la tête de l’Opéra de Paris. Ceux que le modernisme parfois outrancier de Mortier avait exaspérés croyaient tenir une juste revanche avec ce spectacle d’ouverture typique d’un art français quelque peu délaissé ces dernières années à l’Opéra de Paris. Nul doute que nombre d’entre eux ont dû déchanter.

Nicolas Joel a, en effet, poussé le bouchon un peu loin. Le choix d’un opéra inspiré du poète provençal Frédéric Mistral constitue en soi un vrai manifeste ! Mais le premier chef-d’œuvre de Gounod méritait bien d’être défendu et d’entrer au répertoire de l’Opéra National. Sur le papier, la distribution était prometteuse : elle a tenu ses promesses pour la prosodie de l’ensemble des solistes, merveilleusement compréhensibles. Le chant était plus inégal. Nous y reviendrons. Metteur en scène estampillé « traditionaliste », Nicolas Joel se refuse à toute relecture moderniste des œuvres lyriques. Il reste fidèle à l’histoire et en général à l’esprit du temps. Cela n’a rien de condamnable. Certains estimaient même que son passage à l’Opéra de Paris offrirait une alternance salutaire, voire reposante aux audaces de son prédécesseur flamand.

Le problème c’est que Nicolas Joël et ses fidèles Ezio Frigerio pour les décors et Franca Squarciapino pour les costumes ont opté pour le chromo style Angélus de Millet – celui qui orna tous les bols à café des campagnes françaises du premier XXe siècle. Ce choix naturaliste délibéré contribue à dater davantage l’ouvrage et à l’enfoncer plus encore dans le régionalisme provençal. Or, Mireille est le type même d’opéra qui doit être aidé. Pas plus qu’on est obligé d’enfermer la Carmen de Bizet dans les arènes de Séville, de même Mireille pourrait être confronté à l’esthétique d’autres peintres contemporains de Gounod. D’ailleurs, Joël a opté pour une esthétique ultra-moderne, toute bob-wilsonienne, pour la traversée de la Crau qui se joue devant un écran écru suréclairé par un violent projecteur. Serait-ce la seule scène de l’opéra digne d’être arrachée aux griffes d’un naturalisme vieillot ?

Nous n’en dirons pas plus de cette mise en scène si ce n’est que les hommes sont ainsi faits qu’il faut parfois les protéger d’eux-mêmes… Pourquoi les responsables politiques qui ont nommé avec justesse Nicolas Joel à la tête de notre première scène lyrique nationale n’ont-ils pas précisé dans son contrat qu’il ne devrait y signer aucune nouvelle mise en scène durant son mandat ? Cela lui aurait au moins évité de se trouver dans une situation gênante aux saluts lorsque le public a hué certains de ses artistes. Parmi eux, la soprano Inva Mula dans le rôle-titre, ce qui paraît fort injuste. L’Ourrias de Franck Ferrari était, en revanche, lui en nette méforme, ce qui lui valut un quasi-silence éloquent d’un public poli, mais peu… galant !

La Taven stéréotypée de Sylvie Brunet a un peu déçu à la première. Mais félicitations au Vincent du ténor américain Charles Castronovo au français impeccable ainsi qu’au Ramon d’Alain Vernhes, à l’Ambroise de Nicolas Cavallier et à la Vincenette d’Anne-Catherine Gillet. La plupart ont souvent du mal à se faire entendre tant l’orchestre est sonore. Le chef Marc Minkowski est tout à ses musiciens et à sa passion pour la partition, parfois submergé par l’émotion, pas assez attentif en tout cas aux chanteurs. Comme à son habitude, il peaufine et détaille la mélodie instrumentale au détriment d’une vision dramatique d’ensemble bien maîtrisée. Les chœurs de l’Opéra si importants dans Mireille trahissent quelques faiblesses et un manque certain d’homogénéité du côté des hommes principalement : ils ont du pain sur la planche avec leur nouveau patron Patrick-Marie Aubert venu du Capitole de Toulouse !

Jacques Doucelin

Gounod : Mireille – Paris, Palais Garnier, 14 septembre, puis 19, 22, 26 et 30 sept. et les 2, 5, 7, 11 et 14 octobre 2009

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Photo : Opéra de Paris/A. Poupeney
 

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