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Compte-rendu : Maudite Trilogie - La Dame de Pique à l’Opéra de Lyon

Le sort s’acharne sur la Trilogie Pouchkine voulue par Serge Dorny et Peter Stein. Après la disparition soudaine de Wojtek Drabowicz avant même l’achèvement du cycle – il n’aura pas eu le temps de délivrer son très attendu Prince Yeletski - ce sont les décors qui, victimes de l’amiante (!), ont péri (1). L’absence de ces derniers nous indiffère, on préfère au fond que l’apparition de la Tsarine au III soit remplacée par son portrait – l’horrible poupée géante qui la personnifiait lors des premières séries de représentations confinait au ridicule – et les accessoires et les costumes suffisent, surtout habillés par les lumières expressives de Duane Schuler.

Pourtant, le langage assez neutre de Stein paraît s’effriter sans ce support qui ancre sa démarche dans un naturalisme dont nous avons souvent souligné à quel point il nous semblait daté. La direction d’acteur, qu’on concède à Stein comme sa toute puissance, manquait soudain d’appui. Le réel a ses limites.

Petite forme pour l’orchestre et Kirill Petrenko, qui « routinent » tout le I, traînant des pieds, jouant morne et plat. Les tempos s’étirent, l’électricité si excitante des premières séries de représentation s’est mystérieusement évaporée. Incompréhensible, d’autant que cette fois, à une exception près (Yeletski justement….) la distribution est parfaite.

On a enfin trouvé un successeur à Galouzine, le Hermann absolu de la fin du XXe siècle : Misha Didyk claironne peut-être trop mais le cuivre de sa voix, ses phrasés gainés, éperdus, au-delà de toute respiration humaine (est-ce pour faire entendre ce miracle que Petrenko dirige si lent ?) sont à chaque instant une leçon de chant et surtout de style. Son Hermann, de jeu, est encore un peu générique : ces yeux révulsés, cette main levée, ce corps penché en arrière on les a vus cent fois incarnés par Atlantov ou Noreika ; en somme le retour d’une certaine tradition que Galouzine, avec son étonnant portrait de fou neurasthénique qu’il promenait crânement dans toutes les productions, avait tenté de gommer. Mais si Didyk ne vit pas encore son propre Hermann, il le chante avec des moyens et une intelligence et surtout un engagement qui rappellent les grands anciens, Nelepp ou Khanaïev, rien moins que cela. Chapeau bas.

Pour les autres il faut redire à quel point l’Opéra de Lyon sait faire adhérer à l’esprit de troupe – donnée essentielle dans La Dame de Pique comme dans Oneguine – des chanteurs qui sont tous à leur manière des stars, voire des monstres de théâtre : la Comtesse très noire, effrayante et esseulée à la fois, selon Marianna Tarassova est simplement un miracle, son Grétry ineffable, glissant dans la nostalgie une pointe d’ironie et d’effroi, sa mort, anthologique. Seule Felicity Palmer peut aujourd’hui aller aussi loin dans ce personnage. La Lisa inquiète puis brisée d’Olga Guryakova, même avec sa voix un peu indurée, est inapprochable pour le caractère comme pour le geste : un destin tout simplement. Magnifique Pauline d’Elena Maximova (qui commence à chanter un peu dans les joues le temps de chauffer son somptueux instrument), une Gouvernante incroyable d’autorité, vrai contralto de surcroît (Margarita Nekrassova), le si véridique Tomski de Nikolaï Putilin (même si l’aigu des karti lui manque au I), faisaient oublier un Yeletski à la ligne et à l’intonation paresseuses compensées par une belle matière vocale.

Que donneront Mazeppa et Onéguine dépouillés de leurs décors ? La réponse dans deux semaines.

Jean-Charles Hoffelé

(1) Le changement d'une porte coupe-feu sur l'entrepôt de Vénissieux où sont stockés les décors de l'Opéra, entre autres, a entraîné une projection de particules d'amiante qui les rend inutilisables.

Tchaïkovski : La Dame de Pique - Opéra de Lyon, le 4 mai, puis les 9, 16 et 21 mai 2010

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Photo : DR
 

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