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Compte-rendu : Mathis der Maler selon Olivier Py à l’Opéra Bastille - Les secrets du retable
Chef-d’œuvre ? On n’ira pas jusque là. Mathis der Maler est une partition ambiguë, le rêve qu’Hindemith fit de renouer avec le grand opéra allemand au moment même où le Reich prophétisait la suprématie de la race aryenne pour le millénaire à venir. Olivier Py a bien compris les deux temps parallèles qui donnent son contrepoint à l’œuvre : le temps historique, celui de la guerre des paysans, où le metteur en scène recycle le tank de sa Damnation de Faust genevoise (en le dédoublant) comme ses drapeaux rouges mais cette fois-ci sans faucille. Il y adjoint quelques nazis plus circonspects que dangereux, avec un autodafé minimaliste.
Disons d’emblée que ce temps historique le laisse indifférent, aboutissant parfois à un langage convenu, comme celui, approximatif, employé pour le tableau de la guerre. Mais si cette grammaire se répète jusqu’à s’affadir, du moins se garde-t-elle de toute élucubration. Olivier Py entrerait-il dans son propre classicisme ?
Non, car l’autre temps de l’œuvre, celui propre à Mathis, celui infini de l’art et de la conscience, le montre libéré de toute pesanteur, échappant même à l’écriture dogmatique – accords parfaits, canon, chorals, contrepoint – que tricote toujours par-dessous même l’inspiration un Hindemith que n’a pas abandonné son obsession de la musique objective.
Le langage du metteur en scène éclot, transfiguré à la même altitude qu’en son Tristan, dans le Tableau de la forêt, et dans l’ultime scène de l’œuvre, d’un dépouillement aussi savant qu’émouvant. Et lorsque la musique d’Hindemith n’est qu’inspiration, comme pour l’ouverture et en général tout ce qu’il employa préalablement pour sa Symphonie Mathis der Maler, en fait le laboratoire thématique de l’opéra, Py parvient à la plus pure incarnation de son temps poétique, que le compositeur déploie savamment en contrepoint aux errements de l’Histoire. Alors l’œuvre d’art surgit, la crucifixion du retable d’Issenheim se joue devant vous, un ange aux ailes rouges fait le ménage de l’atelier de Mathis et dans la forêt, avant les tentations, les anges musiciens donnent un envoûtant concert muet dans leurs châsses dorées. Admirable, rien que pour ces instants le spectacle doit être vu.
On ne remerciera jamais assez Nicolas Joel d’avoir mis à ce point toutes les chances du côté d’Hindemith. Mathias Goerne nous emmène loin dans l’introspection du personnage même si sa nature vocale intimiste est un peu perdue dans l’immensité de Bastille et si le verbe qu’incarnait si vigoureusement un Dietrich Fischer-Dieskau – le disque en a conservé le souvenir – ou Jorma Hynninen, assez inoubliable dans la production de Götz Friedrich pour la Deutsche Oper, semble parfois sacrifié par manque de projection, un personnage émouvant vous étreint avec sa vérité à mesure que la soirée avance. Les ténors sont parfaits – et Hindemith ne les ménage pas, les écrivant abrupts et tendus – à commencer par l’Albrecht de Scott MacAllister. Melanie Diener fait son Ursula véhémente et torturée, mais la voix plus d’une fois sombre dans des intonations incertaines. Parfaite Regina, fragile et lumineuse, selon Martina Welschenbach, chœurs au cordeau, orchestre prodigieux de présence et de qualité pupitre à pupitre. A mesure, Christophe Eschenbach fera son geste plus fluide, n’en doutons pas ; il possède déjà tous les secrets de l’œuvre. C’est beaucoup, qui d’autre le pourrait aujourd’hui ?
Ah, pour finir, un conseil : si vous voulez vous préparer à cet ouvrage peu couru, procurez-vous le numéro de l’Avant-Scène qui lui est consacré, et une fois au spectacle ne vous privez surtout pas du somptueux et très documenté programme concocté par la Grand Boutique, un modèle du genre.
Jean-Charles Hoffelé
Paul Hindemith : Mathis der Maler – Paris, Opéra Bastille,16 novembre, prochaines représentations les 19, 22, 25, 28 novembre, 1er, 3 et 6 décembre 2010
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