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Compte-rendu : Mahler et le Rocher - Yakov Kreizberg dirige le Philharmonique de Monte Carlo

Un Concerto pour violoncelle (l’Ut) de Haydn, sur les pointes, tendrement chanté par Stanimir Todorov, soliste de l’orchestre et simplement l’un des plus beaux violoncellistes qu’on connaisse (sonorité admirable qui n’est hélas pas assez portée par l’acoustique un peu courte de l’Auditorium) ouvrait ce concert de l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo et de son nouveau directeur musical, Yakov Kreizberg.

Voilà une tradition qui se perd, faire jouer en concerto les solistes de l’orchestre, alors même qu’elle participe au premier chef de la cohésion de l’ensemble et du développement artistique des musiciens. Rétablir ce plaisir du concertant entre collègues est au fond une véritable démarche éthique. Et si l’on tend l’oreille, on s’aperçoit que, passé le règne de fer de l’ère Janowski, les musiciens monégasques semblent retrouver leur respiration, leur vitalité, mieux, leurs individualités. En bis, Stanimir Todorov donnait le Cant dels Ocells de Pablo Casals, révélant toute sa poésie sans en surligner l’émotion.

Même si Haydn va naturellement à la baguette nerveuse et pourtant chantante (ces longs phrasés des cordes si rarement entendus) de Yakov Kreizberg, c’est son Mahler que l’on attendait avant tout. Le chef russe pénètre dans l’œuvre avec une rectitude de tempo implacable, creusant l’orchestre, en tirant des kaléidoscopes de couleurs savoureuses, s’appuyant sur des bois qui sonnent soudain avec des accents mitteleuropa que les mélomanes du Rocher n’avaient jamais entendus.

Plus tchèque que viennoise – mais Mahler passa son enfance en Moravie et une grande part de sa poétique découle des orchestres populaires et des fanfares militaires qu’il entendit alors quotidiennement –, très cambrée de rythme, son interprétation ne se contente jamais d’un premier plan, mais cherche sans cesse à exprimer l’ambiguïté de la musique. Mieux, elle ose ce que plus aucun chef depuis Klaus Tennstedt n’ose dans ce répertoire : faire parler la musique, la donner à entendre comme une narration, en user absolument comme un acteur userait de sa voix.

Les deux premiers volets surprenaient par la modernité absolue de leur langage, que l’on lisse trop souvent sous prétexte de pastoralisme, et dans le Scherzo, les solos discordatos de David Lefèvre indiquaient à quel niveau de virtuosité et de musicalité les musiciens de l’orchestre sont parvenus. Admirable Ruhevoll, rien moins qu’une transfiguration, dévoilant des paysages sonores inouïs où soudain s’invitaient les ombres du tout dernier Mahler, justement anticipées par la conception hardie de Kreizberg.

Un final filé, ironique, acide, très peu céleste, où la battue implacable du chef voulait obtenir d’Emma Matthews ce qu’elle ne pouvait lui donner (parler dans son chant, et non chanter des mots) mettait la touche finale à une conception de bout en bout fascinante, tout comme la gestique du chef , baguette acérée, main gauche dosant chaque entrée dans la couleur comme dans l’intensité, port de tête altier qui rappelle la grande école de direction impériale russe, celle de Nicolaï Malko dont Evgeni Mravinski lui même avait hérité. Nul doute que Yakov Kreizberg en soit aujourd’hui le digne représentant.

Jean-Charles Hoffelé

Monte Carlo, Auditorium Ranier III, 7 février 2010

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Photo : DR
 

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