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Compte-rendu : L’Oiseau rare - Pietro de Maria invité du Festival Chopin de Bagatelle

Prodigieux ! Son pianisme supérieur n’a d’égal que la musicalité et la princière simplicité avec lesquelles il aborde les partitions. En France, Pietro de Maria demeure pour l’instant l’un des secrets les mieux gardés du piano italien. Un oiseau rare qui s’est perché sur la branche du découvreur Festival Piano en Valois-Angoulême l’an dernier pour une inoubliable intégrale Chopin – rien que ça. Après Michelangeli, Sergio Fiorentino (1927-1998) – splendide artiste scandaleusement ignoré chez nous -, et tandis que le vétéran Ciccolini (85 ans en août prochain !) poursuit sa route avec une étonnante santé, De Maria (né en 1967) prouve que la race des seigneurs du piano transalpin perdure – et à quel niveau !

« On devrait se battre à l’entrée du TCE pour écouter ce type », me glisse une auditrice médusée au sortir du récital que l’Italien donnait à Bagatelle. Ce n’est hélas pas encore l’évidence pour les organisateurs de concerts hexagonaux… Mais il est heureusement quelques rares exceptions : chapeaux bas donc responsables du Festival de Nohant et du Festival Chopin de Bagatelle, les deux seuls qui jusqu’ici(1) n’ont pas omis de programmer Pietro de Maria en cette année du bicentenaire.

Chopin, dont l’interprète vient d’achever l’intégrale pour Decca Italie avec les Scherzi, les Ecossaises, et d’autres pièces brèves moins jouées(2), fait en effet partie des compositeurs fétiches de De Maria. On aurait toutefois bien tort de le cantonner à cet auteur comme le prouve la Sonate KV 333 de Mozart qui ouvre son récital. Richesse et malléabilité du son, pureté d’une expression dénuée de maniérisme, on savoure… avec toutefois le regret de ne pas l’entendre plutôt dans une grande sonate de Muzio Clementi – compositeur chez qui il fait merveille, comme celle qui l’a formé : Maria Tipo.

Suivent les Papillons de Schumann. Fabuleusement maîtrisés, les divers épisodes de cet opus de jeunesse, entre ardeur et rêve, s’enchaînent avec une parfaite cohérence, tandis que le pianiste déploie une palette de timbres et de dynamiques d’un étendue confondante – la capacité à s’adapter à l’acoustique de l’Orangerie ne surprend pas moins !

Entre les deux cahiers d’Etudes de Chopin, le choix de De Maria le poète se porte tout naturellement sur l’Opus 25. Souveraine autorité (des « tierces » d’une fluidité à faire blêmir tous ses collègues), plénitude du chant, profusion de couleurs intenses mais jamais criardes - comme si souvent dans ces pièces que tant de broyeurs d’ivoire dévoient sans vergogne –, équilibre général d’un ensemble que l’interprète articule autour de la 7ème Etude en ut dièse mineur, pivot après lequel le cycle – car ainsi l’Opus 25 est-il ici envisagé - bascule dans le drame jusqu’au fébrile effarement de l’ut mineur conclusif : tout est là, et d’abord la poésie, le style, le grand style - sceau des élus.
Le public de Bagatelle réserve un accueil enthousiaste à cette perfection habitée. Trois bis : un Scarlatti pur comme le diamant, une Campanella éblouissante quoique jamais racoleuse (qui démontre à elle seule que De Maria aura toute sa place durant l’année Liszt qui se profile…), et un nocturne du Polonais.

Ne désespérez pas Maestro, à l’époque où Claudio Arrau triomphait de Berlin à Santiago du Chili, on ignorait encore parfois jusque son nom chez nous – d’où l’on donne pourtant bien volontiers des leçons à la terre entière. « En France, on ne connaît pas on reconnaît », remarquait avec pertinence Cocteau, qui comprenait si bien ces « Italiens de mauvaise humeur » que, disait-il, nous sommes. L’heure de la reconnaissance ne saurait tarder …

Alain Cochard

Paris, Orangerie de Bagatelle, 4 juillet 2010

(1) Piano en Valois-Angoulême réinvite Pietro de Maria le 16 octobre prochain avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine et son directeur musical Kwamé Ryan au Théâtre d’Angoulême, puis pour un récital « hors les murs », le 29 novembre au Théâtre de l’Athénée à Paris.

(2) 1 CD Decca 476 3831

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Photo : DR

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