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Compte-rendu : Les Siècles en dialogue avec Cavaillé-Coll- François-Xavier Roth et Daniel Roth interprètent Saint-Saëns (orgue)

Programme d'apparat pour la seconde étape du lancement officiel d'un projet ambitieux de festival : Le Paris des Orgues. Le 6 mai 2010, à Notre-Dame-des-Champs, un premier concert dédié à la musique d'Olivier Alain – frère de Jehan et de Marie-Claire – avait rendu publique la création, pour mai 2011, d'un Festival d'orgues à Paris dont l'ambition est de fédérer la riche vie organistique de la capitale, où l'on dénombre quelque trois cents instruments, à la fois en s'associant aux grandes institutions parisiennes déjà existantes et en proposant une programmation originale – concerts (également avec d'autres instruments et/ou des chanteurs), visites, conférences – afin de mettre en synergie ce patrimoine considérable.

Organisé par Le Paris des Orgues, que préside Jean-François Guipont, dans le cadre des Concerts Spirituels de Saint-Sulpice, en collaboration avec l'AROSS (Association pour le Rayonnement du grand-orgue de Saint-Sulpice) et Art, Culture et Foi (association diocésaine créée à Paris en 1989), le concert du 16 mai était entièrement consacré à Camille Saint-Saëns, pianiste mais aussi organiste prodigieux. La première partie, sous les doigts de Daniel Roth, titulaire du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice – le plus grand instrument jamais construit par le génial facteur (100 jeux sur 5 claviers et pédalier, 1862), conservé en l'état – fit entendre un florilège couvrant l'ensemble de la carrière du compositeur : de la juvénile Fantaisie en mi bémol (1857), délicieusement poétique puis impétueuse et grandiose, et le Scherzo extrait (n°5) des Six duos pour harmonium et piano op.8 (1858) dans la transcription pour orgue seul de Daniel Roth (Éditions Jobert), les parties des deux instruments originaux demeurant d'un bout à l'autre parfaitement individualisées par des registrations efficacement contrastées sur différents claviers (petit tour de force !), jusqu'aux étonnantes Sept Improvisations op.150 de 1917 : difficile d'imaginer que Saint-Saëns avait plus de quatre-vingts ans lorsqu'il composa le revigorant Allegro giocoso qui ouvrait le concert.

Deux grands Préludes et Fugues de maturité (op.99 n°2 et 3, 1894) complétaient une première partie de fait extraordinairement dynamique, presque en forme de déclaration d'intention : l'orgue n'est pas l'instrument de la routine mais celui des défis et des contrastes les plus audacieux et insolites. Le tout par un Daniel Roth dans une forme et d'une virtuosité prodigieuses, coloriste au goût sûr, généreux et d'une infinie précision dans la mise en œuvre de textes complexes et souvent d'une ampleur intrinsèquement orchestrale – l'immense Cavaillé-Coll suivant comme un seul homme, répondant du tac au tac, ce qui jamais ne laisse de surprendre quand on songe à l'énormité de la machine-orgue ainsi mise en mouvement.

La seconde partie était très attendue. Faisant pour Saint-Saëns (une première sauf erreur) ce qu'un Herreweghe, par exemple, fit pour la Symphonie de Franck (sur les traces, même lointaines, d'un Beecham, avec l'Orchestre National de la Radiodiffusion Française, allégeant la matière symphonique déjà dans l'esprit d'un retour aux proportions de l'original), François-Xavier Roth (photo) et Les Siècles proposèrent une écoute tout simplement inouïe de la Troisième Symphonie « avec orgue » (1886). Dans le prolongement de la production de Mignon (1866) d'Ambroise Thomas à l'Opéra-Comique en avril dernier, Roth et ses musiciens firent revivre les sonorités du temps de l'œuvre, recourant à des instruments d'époque qui, dès le murmure initial des cordes (naturellement exemptes de toute vibration métallique, d'une clarté et d'une force de projection idéales) puis la réponse des vents (d'une vive singularité, notamment le fameux basson français, sensuellement discret mais formidablement présent), firent la différence. On eut le sentiment que de la masse orchestrale découlaient le plus naturellement des tempos toujours justes, enlevés mais majestueux, incisifs mais lyriques – sachant pourtant combien le défi est grand de tenir une telle palette, qui plus est dans une grande acoustique, cependant que l'orgue – autre défi – sonne entre quinze et trente mètres au-dessus : un prodige de synchronisation et d'éloquence commune.

Force est de reconnaître que la première entrée de l'orgue, sur des fonds d'une douceur comme étrangère au monde « d'en bas », fit l'effet d'une terrible concurrence déloyale ! Aucun pupitre de cordes graves ne saurait déployer autant de fastes, l'air de rien, avec une telle aisance et gravité – également, outre la somptuosité des timbres, du fait que précisément la voix de l'orgue vient « des profondeurs d'en haut ». De même la toute-puissance de l'orgue, dans le dernier mouvement, trouva-t-elle à qui parler, Les Siècles ruinant l'idée que l'on perdrait ampleur et même monumentalité à jouer sur instruments d'époque – complémentarité et dialogue parfaits. De cette œuvre singulière et multiple il faudrait dire les merveilles redécouvertes – ce que le concert, enregistré, fera par le biais du disque : cette Troisième Symphonie sera publiée en septembre dans la collection Les Siècles Live – Musicales Actes Sud (distribution Harmonia Mundi), avec le Concerto pour piano n°4 de Saint-Saëns, Jean-François Heisser jouant un Érard naturellement d'époque. Signalons qu'un premier CD de François-Xavier Roth / Les Siècles vient de paraître chez Actes Sud : Symphonie fantastique de Berlioz.

Quant à la première véritable saison du Paris des Orgues, en mai 2011, on en trouvera la programmation (non définitive) sur le site de l'association : des hauts lieux de la capitale (Notre-Dame, Invalides, Saint-Sulpice, Saint-Étienne-du-Mont) aux tribunes moins célèbres (Sainte-Marguerite, Sainte-Élisabeth), en passant par des visites en forme de « parcours des orgues », à Paris comme en région Île-de-France. Le site se fait par ailleurs l'écho du colloque L'Orgue à Paris dans les années 30 (3-5 juin 2010), dont on aura bientôt l'occasion de reparler.

Michel Roubinet

Paris - église Saint-Sulpice, dimanche 16 mai 2010

Sites Internet :

Concert du 16 mai 2010, Saint-Sulpice, Paris
http://www.stsulpice.com/Docs/Affiche_concert_st_saens.pdf

Association « Le Paris des Orgues »
http://www.orguesparis.fr/

Daniel Roth
http://www.danielrothsaintsulpice.org/

Orchestre Les Siècles
http://www.lessiecles.com/

François-Xavier Roth
http://www.francoisxavierroth.fr/

Musicales Actes Sud
http://www.actes-sud.fr/musicales-actes-sud-nouvelle-collection

Colloque L'Orgue à Paris dans les années 30
http://colloqueorguecrr.over-blog.com/

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Photo : DR
 

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