Journal

Compte-rendu : Les Marionnettes de Salzbourg à Déjazet - Lorsque le Boulevard du crime accueille les enfants

C’est toujours le même choc, la même impression étrange qui vous laisse hors du temps et de l’espace, coupé des repères habituels : lorsque se lève le rideau sur la scène miniature et que l’occupent ces morceaux de bois transformés par le talent inouï de quelques artistes autrichiens en êtres animés, touchants, sensibles. L’on se sent bientôt ramené à leur échelle et lorsque vient s’installer sur l’avant-scène une vraie humaine habillée en religieuse, dirigeant l’action du bout des mains, qu’elle agite d’ailleurs comme si elle-même était une marionnette, c’est elle qui fait figure de géante, tout comme les virtuoses du fil quel l’on découvre penchés à la fin du spectacle au-dessus de leurs créatures.

Paris est familier de cette adorable troupe et de ses réalisations prodigieuses, qui ont enchanté le monde entier depuis 1928. Si leur chef-d’œuvre demeure la mise en scène de La Flûte Enchantée, Les Contes d’Hoffmann ont aussi émerveillé. On aima moins peut-être le Don Giovanni car le drame philosophique de l’intrigue, la tension de la musique de Mozart conviennent moins à cet univers fantasmagorique. En revanche Casse-Noisette fut un tour de force incroyable, la danse classique, impitoyable pour les lignes, paraissant une entreprise encore bien plus périlleuse.

Ici, c’est plus dans le ton que l’on observe un tournant : car avec La Mélodie du Bonheur, comédie musicale de Rodgers et Hammerstein, laquelle a connu un destin fastueux sur scène comme à l’écran, les marionnettes abordent un genre moins classique. Mais l’on ne s’éloigne guère de Salzbourg, puisque c’est là, on le sait, que se situe l’action. Plus de féerie, mais une sage, douce et un peu angoissante histoire qui commence comme Cendrillon, avec l’esquisse d’une marâtre (ici une cantatrice) que la préceptrice des enfants d’un militaire veuf saura heureusement supplanter par sa fraîcheur et la magie de sa voix, et débouche sur l’Anschluss - que les parents devront d’ailleurs expliquer à leurs chères progénitures.

Moments exquis lorsque tous les enfants dansent et chantent, après que Marie, l’héroïne, leur a chanté le fameux Do Ré Mi, l’un des moments les plus fameux de la comédie, ou que toute la famille s’enfuit vers la Suisse, avec la petite dernière sur les épaules de son père - une performance si l’on songe au nombre de fils qui s’agitent alors. Ouverte sur une ode à la montagne, le musical se conclut sur cet horizon idyllique, comme loin des fureurs humaines. Spectacle pour enfants, mais spectacle pour adultes aussi, qui mesurent davantage l’étrangeté du propos. Un régal assurément.

Jacqueline Thuilleux

Rodgers/Hammerstein : La Mélodie du Bonheur (par les Marionnettes de Salzbourg) - Théâtre Déjazet, le 11 décembre 2010, spectacle jusqu’au 2 janvier 2011. www.dejazet.com/ Tél. : 01 48 87 52 55

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jacqueline Thuilleux

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles