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Compte-rendu : Les Dialogues des Carmélites à l’Opéra de Nice - Sobriété et émotion


Malraux prophétisait que le XXIe siècle serait celui des religions. Avec les Dialogues des Carmélites créés à la Scala de Milan puis à l’Opéra de Paris en 1957, Francis Poulenc a tissé sur le fervent texte de Bernanos un opéra accordé à la sensibilité de notre temps. Le public niçois ne s’y est pas trompé, réservant un accueil chaleureux à une production venue de l’Opéra d’Amsterdam et signée de Robert Carsen – sans doute l’un des réalisations les plus abouties du Canadien – qui, depuis 1997, a triomphé à l’étranger mais n’avait jamais été représentée en France. En ouverture de la saison de l’Opéra de Nice, la nouvelle direction a frappé un grand coup avec un spectacle où la cohérence musicale le dispute à l’évidence théâtrale.

Michel Plasson connaît ses chères Carmélites comme personne et entretient avec cette partition une relation d’amour depuis près d’un demi-siècle ; sa présence a valeur d’événement. A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice et du Chœur de l’Opéra de Nice, chauffés à blanc, il conduit avec une superbe tension dramatique l’inexorable progression qui mène au sacrifice des religieuses condamnées à l’échafaud. Comme à l’accoutumée, le chef s’autorise une liberté aussi bien dans les nuances que dans les tempos dans le seul but de susciter une émotion à tirer des larmes. La mise en scène de Carsen évolue dans des climats nocturnes ; des moments très épurés contrastent avec des scènes de foule savamment agencées où la force brute s’exprime plus par les attitudes que par l’agitation désordonnée. Les religieuses emprisonnées, blotties les unes contre les autres dans l’attente du jugement, rappellent les attitudes des premiers chrétiens au moment du sacrifice. La scène finale s’interdit tout réalisme au profit d’une chorégraphie qui évite le pathos : les religieuses paraissent s’évanouir au son métallique de la guillotine qui prend encore plus d’acuité au moment où apparaît Sœur Blanche, littéralement transportée dans un autre monde, comme ressuscitée.

D’un plateau vocal de haute volée se détache la première Prieure incarnée par la mezzo Sylvie Brunet, parfaite de déclamation et de puissance d’expression face aux tourments de la mort. Son incarnation tragique contraste avec celle de la soprano Karen Vourc’h dans le rôle de Blanche de la Force, immatérielle jusque dans son apparition virginale à la fin de l’œuvre, véritablement transcendée par le martyre. Sophie Koch en Mère Marie de l’Incarnation mêle l’autorité à une certaine froideur de ton, ce qui n’est pas le cas de June Anderson en Madame Lidoine, à la voix généreuse et d’une grande tenue dans un répertoire où on ne l’attend pas. Les deux apparitions de Jean-Philippe Lafont, l’une un peu caricaturale en marquis de la Force, l’autre très suggestive en geôlier ne sont pas sans excès - l’autorité du jeu compense les limites de la voix. Plus proche de l’art de Poulenc, Paul Agnew se montre sobre et contrôlé en aumônier du carmel. En chevalier de la Force le jeune Frédéric Antoun révèle un talent prometteur (de touchants adieux avec Blanche), tandis qu’Hélène Guilmette (Sœur Constance) manifeste une allégresse volontairement décalée dans cet univers proche du jansénisme de Philippe de Champaigne.

Avec ces Dialogues des Carmélites, un vent nouveau souffle incontestablement sur l’Opéra de Nice. La récente nomination du chef français Philippe Auguin aux commandes de la Philharmonie de la ville constitue un élément autre clef d’une refondation qui laisse espérer des lendemains enchanteurs sur les bords de la Baie des Anges.

Michel Le Naour

Poulenc : Les Dialogues de Carmélites - Nice, Opéra, 10 octobre, dernières représentions les 13 et 16 octobre 2010

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