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Compte-rendu : Leonardo García Alarcón et l’ensemble Clematis - Ivresse frescobaldienne

A l'évidence, les fées se sont penchées sur le berceau de l'Argentin Leonardo García Alarcón, ce surdoué qui, tout ensemble chef, claveciniste et organiste, a le désir baroque chevillé au corps. En tout cas, c'est un vrai bonheur de le voir se prodiguer, coeur ardent mais esprit lucide, à la tête de l'ensemble Clematis (un nom qui renvoie à la clématite, symbole, dans le langage des fleurs, de l'idéalisme et de la créativité). Une direction qu'il partage, en fait, avec la violoniste Stéphanie de Failly qui fonda la formation en 2001.

Familier de Monteverdi (on n'a pas oublié le Couronnement de Poppée voluptueusement dramatique qu'il conduisit au Festival d'Ambronay 2009). García Alarcón vient de revisiter Girolamo Frescobaldi, autre chef de file du Seicento, en l'église des Billettes. Nul prétexte commémoratif à cela, mais simplement le désir de prolonger en salle l'heureux effet généré au disque par l'album « Il Regno d'Amore » (Ricercar).

Au delà, l'ombre de Monteverdi se profile souvent, preuve des nombreuses affinités existant entre les deux maîtres, encore que Frescobaldi n'ait jamais écrit, semble-il, pour la scène. Reste que sa palette expressive est riche de tous les moyens rhétoriques du « parler en musique » inventé par la Camerata florentine et, par voie de conséquence, du recitar cantando, ce vecteur essentiel de l'opéra primitif, devenu réalité avec l'Orfeo du Crémonais, représenté en 1607.

Plus en détail, les deux recueils d'Arie Musicali per cantarsi nel gravicembalo e tiorba (de 1 à 3 voix) que publie Girolamo en 1630, étaient au coeur de la sélection opérée par les interprètes de Clematis, chez qui un confondant activisme agit à tous les pupitres. Avec le canto de la soprano Mariana Flores, argentine comme Garcia Alarcon et dont la virtuosité et la théâtralité sans apprêts s'avèrent tout simplement irrésistibles (l'amour en est naturellement le sujet principal, mais le regard religieux s'y devine aussi, comme dans bien d'autres registres du Baroque, sans parler du sentiment de nature hérité de l'ère madrigalesque).

Quant aux pièces instrumentales complétant cette guirlande festive, García Alarcón et les siens y sont pareillement en leur jardin, faisant pleine provision de rythmes et d'affetti bigarrés. Aussi bien, la structure du présent programme est articulée comme les actes d'un opéra (Amor vittorioso, Lagrime d'amante, etc.), jusqu'aux accents du Bal (al Ballo) culminant dans un Air de passacaille qui s'interrompt parfois lorsque l'amant retourne à ses pensées secrètes pour faire place à un récitatif vrillant. Sentiment feint ou vrai théâtre ? Toujours est-il qu'avec ces alternances d'arias et de stile recitativo, l'organiste de Saint-Pierre de Rome ne propose pas moins qu'un modèle de la cantate de chambre à naître. Avec pour le public d'aujourd'hui, gagné par l'effervescence de l'exhumation, une espèce d'ivresse communicative, nonobstant une exaltation du geste baroque qui ne sera pas du goût de certains puristes, mais que, personnellement, j'ai trouvé à la fois conviviale et salutaire, chaque pièce tendant à s'y faire « dramma per musica » miniature, « un bijou de l'esprit humain  propre à exacerber le geste, mais tout autant à rechercher l'intensité intérieure ».

Roger Tellart

Paris, église des Billettes, 28 janvier 2011

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Photo : DR
 

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