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Compte-rendu : L’éclat du vrai - Les Etoiles des Saisons Russes du XXIe siècle à Cannes

Outre les trois plateformes avancées que sont Lyon, Montpellier et Biarritz, galeries des tendances de la danse internationale, il est un bastion où se gardent précieusement les traditions qui font que la danse classique continue d’exister dans toute son pureté : c’est Cannes, et cela depuis qu’une immense dame s’y installa dans les années 1960. Rosella Hightower, superbe étoile américaine des Ballets du Marquis de Cuevas, y fonda en 1961 une Ecole dont l’exigence, maintenue sans failles, continue de faire rayonner des danseuses à la technique d’acier, au placé impeccable, au style subtil, comme en témoignent deux des plus belles solistes du Ballet de Hambourg, Hélène Bouchet et Joëlle Boulogne, toutes deux issues de cette Ecole.

Rien d’étonnant à ce qu’une Côte d’Azur devenue nouvel Eden des Russes, comme elle leur fut asile au début du XXe siècle, soit sensibilisée à la danse, si chère à leur coeur. Au sein d’un été cannois où les spectacles porteront la griffe de l’est, une soirée à l’éclat tout particulier a jeté ses feux : on a déjà vu à Paris, grâce aux Saisons Russes du XXI siècle, présentées au TCE par Richard Stephant, quelques-unes des pièces maîtresses que la fondation Liepa, menée par les enfants du grand Maris Liepa, Andris et Ilse, reconstitue en hommage au meilleur de l’héritage chorégraphique russe : spectaculaires Thamar et Dieu Bleu notamment. Cette fois, c’est de stars qu’il s’est agi, car cette juxtaposition de superbes apparitions, émanées d’un Bolchoï et d’un Marinski qui ont su trouver leur second souffle, est tout simplement éblouissante. Et, ce qui demeure saisissant dans un monde aseptisé par le mondialisme, leur style, leur technique restent emblématiques d’une école : extrême fluidité des bras, qui les rend uniques dans Petipa et notamment pour ses cygnes, souplesse et largeur du tracé, perfection des parallélismes de la tête et des jambes, A quoi viennent s’ajouter des performances purement gymniques dont on croyait qu’un Sylvie Guillem avait l’apanage, avec un levé de jambes, même chez les hommes, tout à fait sidérant. Et pour ne pas perdre le charme de l’authentique, comme dans les tableaux orientaux, le petit défaut qui griffe l’école russe, ce léger en dedans, genou vers le bas dans les arabesques et attitudes qui fait relever le sourcil aux tenants de l’école française.

Bref, Corsaire, Cygnes, Belle au bois dormant, Roméo et Juliette, ont été ici incarnés par d’éclatants jeunes gens, bouillonnants d’énergie. On gardera précieusement le souvenir de la fine Alina Somova, étincelante dans le très virtuose Tchaïkovski pas de deux, aux côtés du brillant Vladimir Shklyarov, et dans le pas de deux de Roméo et Juliette, face au poétique Andrey Merkuriev, que l’on reverra les 17, 18 et 19 septembre au TCE dans les Galas d’Etoiles du XXIe siècle. Le public a aussi plébiscité le glamour de Nicolas Tsiskaridzé, star du Bolchoï .Tous attachants, certes, tous beaux, mais dominés cependant par la présence prenante et les bras fascinants de la grande Irma Nioradzé dans La Mort du Cygne, et enfin par le chic, le piquant d’Ilse Liepa, au charisme étrange, à la sinuosité troublante, dans un Boléro tout à fait séduisant, chorégraphié par Jurgis Smoriginas, et dans The meeting, du même : un vrai numéro d’illusionniste où elle est à la fois homme et femme, suivant le profil présenté. Preuve, avec ces deux dernières pièces, que l’inspiration du ballet russe ne faiblit pas.

Jacqueline Thuilleux

Les Etoiles des Saisons Russes – Cannes, Palais des Festivals, le 20 juillet 2010

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Photo : DR
 

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