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Compte-rendu : Lauréats du Concours d’Orléans - Pianos inventifs


Le Concours international de piano d’Orléans est sans doute l’une des plus belles inventions des dernières décennies dans ce domaine. D’abord intitulé « Concours de piano xxe siècle » puis élargi, bien sûr, au xxie siècle naissant, ce qui aurait pu n’être qu’une joute d’hyper-spécialistes, s’est confirmé, édition après édition, comme un révélateur de véritables personnalités musicales.

En effet, si le concours a vu éclore quelques vrais spécialistes du piano contemporain (tel Hideki Nagano, lauréat lors de la première édition en 1994, entré à l’Ensemble intercontemporain en 1996), il a surtout servi de tremplin à des musiciens curieux, ouverts aux trajectoires passionnantes : Winston Choï (lauréat 2002), Francesco Tristano (2004), Wilhem Latchoumia (2006) ou – même si le recul est moindre – Florence Cioccolani (2008).

Le « concert de prestige » aux Bouffes du Nord devait rassembler les trois principaux lauréats de la dernière édition (février-mars 2010). Blessé au poignet, Anaël Bonnet (né en 1982) n’a pu tenir sa place, mais le concert a permis d’entendre le talent de deux jeunes pianistes : la Coréenne Yejin Gil (photo) et l’Américain Christopher Falzone. La première, visiblement tendue quand elle a abordé son récital avec l’Étude « pour les arpèges composés » de Debussy, a trouvé dans les pages très rythmiques de sa compatriote Unsuk Chin – trois Études où l’influence de son maître György Ligeti est sensible – un univers qui lui convient. Elle interprétait ensuite, aux côtés des Percussions de Strasbourg dirigées par le compositeur, Interstice, l’œuvre que Philippe Hurel a écrite pour la finale du concours 2010. L’œuvre est difficile – et même un rien perverse – dans la mesure où le piano s’y confond souvent avec les percussions, en une sorte de fusion où le timbre importe plus que l’immédiate virtuosité du soliste. L’interprétation de Yenji Gil est parfaite e tension d’un bout à l’autre de l’œuvre.

Christopher Falzone s’est lui présenté avec une aisance déconcertante pour ouvrir le concert avec deux pièces (Pavane et Bourrée) tirées de la Suite pour piano op 10 de Georges Enesco – signe que le Concours d’Orléans est bien ouvert à tous les courants esthétiques du xxe siècle. Sous les doigts du pianiste de 25 ans, c’est un festival de couleurs et de sonorités pleines, qui se poursuit dans l’Étude « pour les sonorités opposées » de Debussy.

Et c’est toujours ce sens de la couleur qui impressionne dans …del color a la materia.., création de l’Argentin Martin Matalon pour piano et percussions, dérivée de sa musique pour le film de Luis Bunuel, L’Âge d’or. L’œuvre est longue (une quarantaine de minutes) et utilise de façon foisonnante tous types de percussions et de modes de jeux pianistiques, prolongés par l’électronique. Sous la direction du compositeur, Christopher Falzone délivre une interprétation très concentrée, en parfait écho aux Percussions de Strasbourg. Un jeune interprète à la technique sûre au service d’une écriture inventive. Que demander de mieux ?

Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Bouffes du Nord, 24 janvier 2011

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Photo : DR

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