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Compte-rendu - La Passion de Simone de Saariaho - Quinze états de l’âme


Après avoir accueilli, en 2006, la création de son deuxième opéra, Adriana Mater, l’Opéra Bastille accueillait la première française d’une autre œuvre d’envergure de Kaija Saariaho. Troisième étape d’une collaboration avec l’écrivain Amin Maalouf et le metteur en scène Peter Sellars débutée en 2000 avec l’opéra L’Amour de loin, La Passion de Simone était ici donnée en version de concert (donc sans la mise en scène de Peter Sellars présentée à Vienne et New York) et précédée un peu curieusement par le Concerto pour violon de Beethoven, un couplage rendu d’autant moins convaincant par la lecture très sage de Frédéric Laroque, violon solo de l’Orchestre de l’Opéra. Quelque peu empesé dans Beethoven, l’orchestre, dirigé par le jeune Cornelius Meister (29 ans) fut en revanche particulièrement vif et brillant dans l’œuvre de la compositrice finlandaise.

Portée par une grande vague orchestrale où se reconnaît l’inimitable art des timbres de Kaija Saariaho, l’œuvre reprend extérieurement la forme d’un oratorio et applique à la vie et à l’œuvre de la philosophe Simone Weil (1909-1943) subtilement évoquées par le livret d’Amin Maalouf les quinze stations d’une Passion christique où alternent la voix soliste, le chœur et les textes de la philosophe enregistrés par l’actrice Dominique Blanc. Quinze états de l’âme donc, pour lesquels la musique ne connaît pas de transformations exacerbées, leur préférant la variation discrète et les jeux de contrastes et d’équilibre, entre tutti orchestraux et moments d’intimité solistes ou chambristes (avec quelle beauté chante le hautbois la souffrance de l’âme dans la quatrième « station » !).

Fidèle interprète de Kaija Saariaho, et plus généralement du répertoire contemporain (on se souvient de l’exceptionnel Ange qu’elle a été dans Saint François d’Assise de Messiaen), la soprano Dawn Upshaw illumine l’œuvre, malgré une indisposition annoncée par le directeur de l’Opéra Gérard Mortier juste après l’entracte. Peut-être cela l’a-t-il par endroits privée d’un peu de sa puissance, sans jamais atténuer si peu que ce soit la force de son interprétation, portée vaillamment durant une heure et quart. Venant doubler la chanteuse, en une sorte de fraternité imaginaire, le chœur Accentus s’est montré parfaitement inspiré par cette écriture riche d’intonations retenues, fidèle à la grande tradition chorale mais moderniste dans son approche rythmique (les accents machiniques de la cinquième station, évoquant la vie ouvrière où s’était plongée la philosophe). Entreprise ambitieuse et risquée, La Passion de Simone est un admirable succès, dont le mérite revient autant à ses auteurs qu’à ses interprètes, et que le public de l’Opéra Bastille est venu saluer, avant de généreux applaudissements, par le silence d’un recueillement sincère.



Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Opéra Bastille, mercredi 17 juin 2009

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Photo : DR

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