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Compte-rendu : Incertain parcours - Pierre Boulez dirige l’Orchestre de Paris et l’Ensemble intercontemporain

À l’automne 2007, l’Orchestre de Paris s’était déjà uni à l’Ensemble intercontemporain pour un important cycle de concerts autour de la figure de Pierre Boulez, dirigés par le compositeur lui-même et par Christoph Eschenbach. Structuré en trois parties chronologiques sur deux soirées (« brève anthologie », « une autre génération », « et maintenant ? »), ce nouveau portrait, à l’occasion des quatre-vingt-cinq ans du compositeur, portait pour titre général « Pierre Boulez, un certain parcours ». Mais lequel ? Celui du chef d’orchestre, du compositeur sans doute, mais aussi celui de l’homme et du polémiste.

À l’évidence, ces deux concerts sont d’abord un portrait du chef. Pour Concertate il suono, l’œuvre de Marc-André Dalbavie qui concluait ce « parcours », le public pouvait d’ailleurs suivre la manière si particulière du chef dont les mouvements filmés en direct étaient projetés sur le mur au-dessus de l’arrière-scène. Qu’il s’attaque au répertoire symphonique du XXe siècle ou à a musique contemporaine dont il s’est fait le défenseur passionné dès les années 1950, Pierre Boulez y déploie toujours sa vision propre, que l’on pourrait qualifier d’analytique mais qui est peut-être, plus simplement, d’une clarté exemplaire. Ainsi l’Allegro de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók révèle-t-il le canevas parfait de ses lignes superposées ; de même, le deuxième soir, le défi rythmique du troisième mouvement du Concerto de chambre de Ligeti est relevé avec brio et ravive le souvenir d’une interprétation superlative de l’œuvre entière en octobre dernier, déjà avec l’Ensemble intercontemporain. Lors du premier concert cependant, les musiciens de l’ensemble ont davantage convaincu comme chambristes (Mouvements op 5 de Webern, Pièces pour clarinette et piano op 5 de Berg) que sous la direction du héros du jour dans un Octandre de Varèse étonnamment balbutié.

Comme directeur musical et comme chef invité, Pierre Boulez a toujours été réputé pour son génie de la programmation, ce qui vaut surtout pour ses programmes « mixtes » mettant en relation œuvres récentes et « classiques du XXe siècle ». Ce double programme constitué d’extraits d’œuvres (deux seulement des Cinq pièces op 16 de Schoenberg, le deuxième mouvement seul du superbe Stele op 33 de György Kurtág ou Tema de Donatoni « à partir de la mesure 167 ») n’est pourtant pas entièrement convaincant. Certes, invité par le Musée du Louvre en 2008, Pierre Boulez revendiquait une esthétique du fragment. Mais, si la dernière partie du Sacre du printemps, réduit aux quatre derniers numéros du ballet, peut donner, sous une telle direction à ce point puissante et maîtrisée, l’idée de l’œuvre dans sa totalité, cette succession de morceaux choisis – avec les interminables changements de plateau qu’elle occasionne – donne plus l’impression d’écouter une émission de Radio Classique (la modernité en plus) que de parcourir une anthologie raisonnée.

L’œuvre de Pierre Boulez n’est elle-même représentée que par les Notations III et II (développements orchestraux de très brèves pièces pour piano de jeunesse, créés par l’Orchestre de Paris en 1980), des pages qui finalement renseignent plus aujourd’hui sur l’art du chef d’orchestre que sur celui du compositeur. Pierre Boulez en fait d’ailleurs ressortir l’hétérogénéité, comme en 2006, déjà à la Salle Pleyel, avec l’Ensemble Modern Orchestra. Mais rien sur la période créatrice plus récente, celle de Répons, d’Anthèmes ou de sur Incises : ce « parcours » s’en tient au Boulez de la « génération de Darmstadt » dans un portrait de groupe réunissant Berio, Stockhausen, Ligeti. De même, et c’est un autre regret, on peut se demander si la seule création au programme, Distances de Jean-Baptiste Robin (né en 1976), avec son néo-romantisme qui peine à se construire une identité formelle, était véritablement digne de représenter l’avenir d’un éventuel héritage boulézien.

Reste l’homme. On n’aura guère appris de lui lors de la « pochade » qui concluait la première soirée, un hommage qui, sous une forme très conventionnellement biographique, cherchait à prendre l’avant-gardiste à contre-pied avec un florilège de musiques plus sucrées et moins bouléziennes les unes que les autres. À force de vouloir faire « décalé » cependant, le texte, pour évoquer celui qui a mis en musique Mallarmé, Char ou Cummings, peut sembler à bien des égards prosaïque voire indigent. Deux entretiens avec Jean-Pierre Derrien auront au moins permis de constater que Pierre Boulez, qui fut un polémiste nécessaire, sait toujours défendre ses convictions avec un sens aiguisé de la formule et de la démonstration.

Jean-Guillaume Lebrun

Paris, Salle Pleyel, jeudi 27 et vendredi 28 mai 2010

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Photo : DR
 

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