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Compte-rendu : Hommage à Roland Petit au Palais Garnier - Monsieur de Paris

Quoi de plus parisien que ce spectacle chic, dont les couleurs sombres sont griffées Roland Petit, lequel fut pour la danse ce que furent Cocteau, Auric ou Kochno : un esprit vif, parcouru des ondes de son temps, avec un côté titi parigot qui donna du mordant à tout ce qu’il touchait à l’époque de ses grandes créations. Et elles se précipitèrent, dans l’explosion d’un talent créateur qui en une dizaine d’années fit de lui une vedette mondiale, ainsi que sa muse Renée, dite Zizi. En foule, on vit sortir du chapeau de magicien, des merveilles telles que Le Rendez-vous ( Kosma-Picasso-Brassai !), Le Loup, qui bénéficia de la brûlante partition de Dutilleux, Deuil en 24 heures, le Jeune homme et la mort, et bien sûr Carmen, tremplin de sa gloire. Suivraient d’autres œuvres maîtresses, aux allures de vastes fresques que la postérité a parfois oubliées, à tort, car sa Turangalîlâ, sur la partition de Messiaen, fut une réussite, tandis que Notre Dame de Paris, un peu trop daté, fut pourtant repris fréquemment à l’Opéra.

Pour ce spectacle qui accole trois chefs-d’œuvre, le maître, 86 ans, a tenu à veiller à la bonne tenue de la reprise, toujours bon pied bon œil, ainsi que l’inusable Zizi à l’esprit aussi acéré que les virgules dessinées par ses jambes uniques. Et l’ensemble émeut avec un brin de nostalgie, car ces trois pièces dégagent le charme d’un temps enfui, mais encore riche de messages, ni plus ni moins qu’une Sylphide ou qu’une Giselle. Car Petit colla à l’immédiat après-guerre comme Taglioni à l’ère romantique.

Force est de dire que les danseurs de l’Opéra sentent exactement cette esthétique, et la dégagent avantageusement de ses tics dans les saccades et les mines qui se voudraient expressionnistes. Ils saisissent le drame sous le sourire, la tendresse et l’érotisme puissants sous le cynisme, et ils font ressortir la force dramatique d’une véritable écriture. Ainsi Nicolas le Riche, comme émergé d’une sorte de gangue qui le comprimait récemment, magnifique dans Le Rendez-vous, comme il le fut jadis dans l’Arlésienne, face à la fascinante félinité d’Isabelle Ciaravola, aux jambes de vamp dignes d’une Cid Charisse, ou de Zizi, tout simplement. Laetitia Pujol incarne avec une grâce touchante la jeune mariée amoureuse du Loup, campé avec une force qui rappelle celle d’un Atanassof ou d’un Guizerix, par Benjamin Pech, l’un des tempéraments dramatiques les plus intéressants de l’Opéra.

En revanche, ni Eleonora Abbagnato - perruquée Greco comme il se doit -, ni Stéphane Bullion, très beau mais encore un peu léger, ne peuvent faire oublier les couples mythiques qui ont marqué un demi-siècle dans le Jeune Homme et la Mort. Mais le fantastique surréaliste d’un style français auquel on est resté attaché, le décor final beau à couper le souffle, la traînée immaculée et sanglante à la fois de la belle mort sur les toits de Paris, tout cela s’imprime dans les mémoires, à condition d’oublier le mal fait à Bach par Alexandre Goedicke, qui a lourdement orchestré la Passacaille BWV 582. Il est vrai qu’en 1946, le mot baroque était tombé aux oubliettes...

Jacqueline Thuilleux

Paris, Palais Garnier, le 1er octobre, prochaines représentations les 4, 6, 7 et 9 octobre 2010

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Photo : DR

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