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Compte-rendu : Gustav Mahler à l'orgue... ? David Briggs et le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice


Vieux serpent de mer : l'orgue de Saint-Sulpice ne « sonnerait » pas – sous-entendu comme Notre-Dame ou Saint-Eustache. Ce qui n'est pas faux. Le chef-d'œuvre de Cavaillé-Coll ne sonne pas en force mais en grandeur. À condition, plus encore qu'ailleurs, de laisser l'instrument imposer sa loi. On a mémoire de récitals où, de fait, alchimie des timbres et projection n'étaient pas abouties. Mais quand l'invité perçoit l'équilibre si singulier de son immense palette, c'est Bayreuth que l'on croit entendre – et cette clarté optimale, sans violence, due au fameux « abat-son » – ou bien, quand la puissance est de mise, une déferlante sonore dont l'ancrage tellurique vous cloue sur votre chaise.

Ainsi lors du récital de David Briggs (photo), grand nom de l'orgue anglais. Titulaire émérite de la cathédrale de Gloucester (après avoir présidé aux destinées de l'historique Three Choirs Festival – Hereford, Gloucester, Worcester), aujourd'hui installé à Boston, cet éléve de Jean Langlais à Paris fut le premier Britannique couronné du Prix Tournemire au Concours d'improvisation de St Albans (GB). Réputé pour ses transcriptions d'improvisations de Pierre Cochereau, il proposa à Saint-Sulpice deux transcriptions diamétralement opposées (comme sur deux orgues différents) ainsi qu'une composition récente.

Bach : Suite pour orchestre n°3, BWV 1068, dont l'altière Ouverture fit penser (alternance ripieni/soli) au Prélude en mi bémol, BWV 552, de la Clavierübung III pour orgue, le caractère instrumentalement polyvalent de la musique de Bach étant une nouvelle fois vérifié sans que l'orgue ait à renier sa nature (caractère sensiblement plus polyphonique du fameux Air, malgré sa flûte naturellement soliste). D'emblée Briggs fit sonner l'orgue avec une énergie prodigieuse ! Changement complet d'horizon : Andante de la Sixième Symphonie de Mahler, une spécialité de Briggs, auquel on doit une transcription intégrale de la Cinquième (enregistrée à Gloucester, Priory, PRCD 649). La splendeur des jeux de fonds et l'impulsive dynamique de l'instrument firent merveille, évoquant aisément – univers harmonique mis à part – le répertoire symphonique strictement organistique de l'époque.

Enfin Hommage à Marcel Dupré (2009), en première audition française – trois Préludes et Fugues, à l'instar des triptyques op.7 et 36 de Dupré, illustre titulaire de Saint-Sulpice : Ré majeur, du pur Dupré… de notre temps, admirable d'élaboration, littéralement grandiose bien que strict et d'une réelle élévation musicale ; Fa mineur, en mémoire de Cochereau, ou de sa disparition, tant le tragique du Prélude est bouleversant, la Fugue essayant de tendre vers la lumière – avant de renoncer ; enfin Mi majeur, divertissement « impressionniste » (Ravel fut mentionné, valant hommage à l'École française), piquant d'esprit et de verve. Simplement « à la manière de » ? Pas du tout, d'autant que l'émotion qui émane de ces pages puissantes et exigeantes fait vibrer l'auditeur d'aujourd'hui – en plus d'être le faire-valoir optimal d'un instrument de rêve.

Michel Roubinet

Récital David Briggs, dimanche 24 octobre 2010, église Saint-Sulpice, Paris

Prochain récital (orgue et lectures) : Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin et Pierre Arditi, dimanche 28 novembre

Sites Internet :

Orgue Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice et auditions

http://www.stsulpice.com/

David Briggs

http://www.david-briggs.org/

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Photo : © David Briggs


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