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Compte-rendu : Gregorio Nardi au Festival International de Dinard – Dialogue du passé et du temps présent

Un programme, aventureux comme toujours, de Francesco Tristano Schlimé, une apparition de Viktoria Postnikova – si rare en récital -, plusieurs jeunes pianistes à découvrir, etc. : fidèle à son habitude, le Festival de Dinard a fait entendre sa voix singulière dans le concert festivalier avec une riche 21e édition. Directeur artistique de la manifestation bretonne depuis 1993, le pianiste coréen Kun Woo Paik avait également pensé à inviter Fredrik Ullén, étonnant artiste très méconnu dans l’Hexagone. Un ennui de santé a malheureusement contraint le pianiste suédois à déclarer forfait, mais les auditeurs n’ont pas perdu au change car son remplaçant, Gregorio Nardi, a signé un passionnant programme accordé au thème du Festival 2010 : « Miroirs du temps ».

Très applaudi l’an dernier à Dinard, la pianiste florentin était la personnalité toute trouvée pour une soirée mêlant le grand répertoire romantique à la musique d’aujourd’hui. D’une insatiable curiosité, Nardi a en effet effectué des recherches approfondies sur les inédits de Schumann en particulier (de passionnants enregistrements réalisés pour Phoenix – très mal distribués en France hélas – en témoignent), mais s’impose tout autant dans le répertoire contemporain. Il entretient d’ailleurs des rapports privilégiés avec des créateurs tels que György Kurtag et Klaus Huber (qui lui prépare en ce moment un ouvrage pour piano).
Aux côtés de Crumb, ces deux derniers auteurs font partie d’un programme où ils côtoient avec des ouvrages fameux de Liszt et de Chopin et des miniatures inédites de Schumann.
De la puissante et symphonique Fantaisie et Fugue sur B.A.C.H. au dépouillement de Ein Hauch von Unzeit II (« Un souffle d’intemporalité » – une pièce pour flûte à l’origine) – une musique étrange, aux confins du silence -, le récital de Gregorio Nardi trace un passionnant itinéraire où la modernité tend en permanence un miroir au passé. Car Crumb (Processional), Kurtag (des extraits des Jatekok) et la pièce de Huber structurent le projet musical de l’interprète. Nardi opte pour une approche en rien froide mais délibérément distancée des Nocturnes op 48, de l’Etude d’exécution transcendante n°12 « Chasse-Neige » ou de la Ballade n°1 op 23 et, partant, métamorphose ces pages en réminiscences d’un passé dont les modernes se sont nourris. Confronté à l’hypnotique Processionnal de Crumb, les chatoiements harmoniques de Chopin et de Liszt prennent tout leur sens, d’autant que la palette de couleurs de l’Italien en souligne toutes les subtilités. Une Davidsbündlertanz, un Phantasiestück, une Fantaisie sur un thème de quatre notes, un Capriccio, tous inédits, font le bonheur des schumaniens ; l’alternance avec des pièces du Jatetok compose une merveilleuse mosaïque sonore – cohérente car l’Album pour la jeunesse de l’Allemand figure parmi les sources du recueil de Kurtag.
Jusqu’au terme de la longue et énigmatique pièce de Huber, Gregorio Nardi tient son auditoire en haleine. Plus qu’un récital, un voyage poétique, admirablement construit, et vécu que couronnent de longs applaudissements et trois bis (un Chopin/Liszt, et deux Chopin) - derniers clins d’œil du passé au temps présent.

Alain Cochard

21e Festival International de Dinard, Auditorium Stephan Bouttet, le 13 août 2010

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Photo : DR
 

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