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Compte-rendu : Fille d’Orphée - Karine Deshayes en terre baroque


Printemps fleuri pour la mezzo-soprano Karine Deshayes qui, entre deux représentations du Barbier de Séville (où elle est Rosine) à l’Opéra Bastille, nous faisait rêver au Baroque, Salle Gaveau, avec quelques amis choisis selon son cœur : le claveciniste Sébastien d’Hérin et son ensemble les Nouveaux Caractères (ceux-ci assurant avec un rare savoir-faire les incises instrumentales entre les arias) et, côté chant, la basse Nicolas Cavallier, la mezzo Delphine Haidan et la soprano Caroline Mutel.

Riche déjà d’une belle carrière où la mélodie le dispute à l’opéra traditionnel, Karine Deshayes n’en voyage pas moins avec un bonheur constant dans le concert des hautes époques. Ainsi de cette soirée à Gaveau, où elle prenait en quelque sorte le genre opératique à sa source dans l’Orfeo de Monteverdi, œuvre fondatrice s’il en est qui scelle l’union de l’armonia et de l’oratione (traduisons : de la musique et des paroles) par le biais de ce génial outil rhétorique qu’est le recitar cantando ou style récitatif.

Ayant reçu pratiquement tous les dons en partage (ce qui lui permet aussi de déjouer les pièges techniques de ce premier buon canto, avec des sons travaillés et filés à loisir et de soudaines urgences qui révèlent un vrai tempérament de tragédienne, conforté par une virtuosité imparable), Karine Deshayes donnait d’abord toute sa dimension poétique et spirituelle au fameux prologue de la Musica Dal mio Permesso amato, qui se faisait avec elle parler de vérité et hymne magique saturé de signes.

De même, le duo Proserpine-Pluton de l’acte IV (avec la noble basse de Nicolas Cavallier comme complice) tournait au plus émouvant des plaidoyers, porteur d’une tendresse et d’une compassion infinies, avant les effusions de la déesse (sia benedetto il di… benedetta la preda), aux résonances quasi christiques. Des résonances qui, passées les voluptés du Couronnement de Poppée (ineffable duo conclusif Pur ti miro), transfiguraient la Lamentation et Mort de Didon chez Purcell, où Karine Deshaye réussit mieux qu’un réveil : une déchirante incarnation qui enchâsse comme en un écrin un fabuleux portrait (et destin) de femme : cette princesse carthaginoise, sœur, dans l’esprit et dans la chair, de l’Ariane montéverdienne.

De Purcell à Haendel il n’y a qu’un pas, souverainement franchi après l’entracte. Pareillement, notre soliste y butine à l’aise, tant dans la vocalité libérée (la Cantate La Lucrezia) que dans la résignation vrillante (l’aria Lascia ch’io pianga d’Almirena, tirée de l’opéra Rinaldo), ajoutant à l’entendement des mots l’intelligence profonde des rôles. Sans conteste, une étoile belcantiste et dramatique est née, avec qui il faut désormais compter dans le concert, toujours plus foisonnant,du baroque italien, et sans préjudice, comme il est dit plus haut, pour le parcours de la diva lyrique.

Roger Tellart

Paris, Salle Gaveau, 15 avril 2010


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Photo : DR

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