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Compte-rendu - Festival de Verbier - L’alchimie des rencontres


L’originalité du Festival de Verbier tient, par-delà la qualité des interprètes, aux rencontres inédites entre les musiciens. La représentation du Don Giovanni de Mozart (le lundi 20 juillet sous la tente de Médran) en apporte un exemple tout à fait significatif. La défection tardive de plusieurs chanteurs (Edita Gruberova, Susan Graham, Matthew Poienzani) a en effet obligé le directeur général du festival, Martin T:son Engstroem, à opérer un remplacement qui se révèle finalement payant. La Donna Anna remarquable d’Anna Masuil, la Donna Elvira révoltée d’Annette Dusch, le Don Ottavio subtil de Michael Shade, proche du légendaire Léopold Simoneau, composent des personnages criants de vérité face à l’animalité de Bryn Terfel (photo) en Don Giovanni, au chaleureux Leporello de René Pape, au Commandeur au style impeccable de Thomas Quasthoff, au juvénile Masetto de Robert Gleadow (dont on reparlera sans doute…) et à la pétillante Zerlina de Sylvia Schwartz. La mise en espace de Marthe Keller est un véritable bonheur de naturel, de fantaisie et d’humour. Chacun peut ainsi individualiser son personnage tout en laissant s’exprimer une complicité de tous les instants. A la tête du Verbier Festival Orchestra, le chef autrichien Manfred Honeck va à l’essentiel, la sécurité et la dimension dramatique l’emportant souvent sur le dosage des nuances et la légèreté mozartienne.

Cette souplesse est en revanche l’apanage du piano de Martha Argerich qui s’exprime avec un bonheur ludique dans le Concerto n°2 de Beethoven (le 22 juillet Salle Médran) avec les musiciens du Verbier Festival Chamber Orchestra portés par la direction très communicative et attentive de Gabor Takács-Nagy. Changement de registre (le 23 juillet) avec Lang Lang dans un Concerto n°1 de Tchaïkovski chaotique et d’une virtuosité parfois incontrôlée dans les cadences. Après l’entracte, libre de ses mouvements et de ses intentions, le chef russe Yuri Temirkanov conduit les jeunes musiciens du Verbier Festival Orchestra sur les cimes avec la Symphonie n°10 de Chostakovitch. Sous sa baguette, cette partition angoissée et pathétique atteint une tension implacable presque hallucinée.

Dans la Turangalîla-Symphonie de Messiaen (26 juillet), Charles Dutoit maîtrise toutes les forces du Verbier Festival Orchestra dans une exécution colorée et primitive proche du Sacre du Printemps qui laisse peu de place au piano nuancé de Jean-Yves Thibaudet sans doute étouffé par l’acoustique du lieu. En première partie, Evgueni Kissin dans le Concerto n°2 de Chopin, sans retrouver la suprême aisance de l’enregistrement moscovite de ses jeunes années, impressionne toutefois par son aplomb. L’interprétation émouvante et d’une humanité à tirer des larmes de La Belle Meunière de Schubert (le 25 juillet) par le baryton Thomas Quasthoff et Emanuel Ax au piano fait oublier une légère fatigue vocale (mais Quasthoff se dépense sans compter dans les masterclasses qui se tiennent pendant le festival) et contribue à conforter le sentiment de solitude égarée et de dépit amoureux contenu dans ces vingt lieder.

Le récital de Mélodies françaises donné par Susan Graham en parfaite connivence avec le pianiste écossais Malcolm Martineau dans des œuvres de Bizet, Chabrier, Duparc, Ravel, Caplet (succulent Le Corbeau et le renard !), Fauré, Honegger, Rosenthal, Poulenc (La Dame de Monte-Carlo), est un moment de grâce (le matin du 24 juillet). Il convient aussi de vanter les vertus pianistiques du Macédonien Simon Trpceski (le 22 juillet) dans un programme où l’engagement (Toccata op 11 et Sonate n°7 op 83 de Prokofiev) rivalise avec le plus grand raffinement (Mazurkas op 24 de Chopin et Children’s Corner de Debussy) ; l’élégance faite homme de David Fray (très intériorisé dans les Six Moments Musicaux D. 780 de Schubert et la Partita n°6 BWV 830 de Bach, le 23 juillet), ou encore l’envol du violoncelle de Marie-Elisabeth Hecker (Suite n°4 BWV 1010 de Bach), à la gestuelle si proche de Jacqueline du Pré, dans une Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur op 40 de Chostakovitch magnifiquement accompagnée par Julien Quentin (21 juillet). Enfin, parmi les nombreux stagiaires présents lors des classes de maîtres, on mentionnera la prestation très aérienne de la pianiste arménienne Lylit Grigorian et l’assurance de David Kadouch, témoignant tous deux à leur manière de la vitalité d’un festival qui, pendant dix-sept jours, transforme Verbier en un véritable vivier musical.



Michel Le Naour

Festival de Verbier, 20 au 26 juillet 2009

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Photo : DR

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