Journal

Compte-rendu : Festival de Bayreuth - Lohengrin entre dérision et drame

La nouvelle production de Lohengrin confiée au célèbre metteur en scène allemand Hans Neuenfels – qui, à soixante-neuf ans, fait son entrée à Bayreuth – n’a pas laissé indifférent. Entre psychanalyse et réalisme, volonté de bousculer les habitudes tout en conservant la quintessence du drame, Neuenfels donne des coups de pied dans la fourmilière wagnérienne. Pourtant, il ne néglige à aucun moment, malgré ses outrances et une ironie parfois appuyée, le mythe surnaturel du héros romantique confronté au monde des hommes.

Dans un univers froid (un laboratoire quasi aseptisé, habilement éclairé, dans lequel évoluent les chœurs costumés en rats noirs et en souris blanches surdimensionnés), le drame se noue entre les protagonistes d’une action où s’affrontent le monde de la lumière et celui des ténèbres. La culture germanique, si riche en évocations de l’imaginaire fantastique (on songe aux Contes d’E.T.A. Hoffmann, aux films de Murnau ou aux gravures d’Alfred Kubin) se mêle à une cosmogonie surréaliste proche des peintures de Max Ernst (que Neuenfels eut l’occasion de rencontrer dans sa jeunesse). Cette dichotomie entre rêve et réalité se laisse percevoir à tout moment par le truchement d’un humour décalé, voire potache, mais questionne sur les intentions du metteur en scène (la scène finale où d’un œuf sort un fœtus monstrueux qui se libère de son cordon ombilical laisse interrogatif).

Rôle-titre d’exception avec le Lohengrin de Jonas Kaufmann (photo), voix et physique de rêve, capable de toutes les nuances (du pianissimo le plus impalpable dès son entrée en scène jusqu’aux fortissimos les plus éclatants dans le récit du Graal et aux plus belles irisations dans son duo avec Elsa). Face à une telle présence, l’écart se fait sentir de manière cruelle même si l’Elsa de Annette Dasch, trop monochrome dans ses états d’âme, ne démérite pas.
Dans le noir rôle d’Ortrud, Evelyn Herlitzius se révèle machiavélique à souhait, mais sa prestation vocale, métallique et dure dans les aigus, manque de souplesse. Peu charismatique, le Telramund de Hans-Joachim Ketelsen ne convainc guère, tandis qu’en Héraut, le Coréen Samuel Youn a une solidité à toute épreuve lors de ses interventions martiales.

Dans la fosse, le Letton Andris Nelsons, 31 ans (le plus jeune chef ayant dirigé à Bayreuth depuis Lorin Maazel), fait des miracles par la clarté et la finesse d’une interprétation à la fois sensible et tendue – moment de grâce que le Prélude, d’une admirable fluidité. Les chœurs de Bayreuth, préparés par Eberhard Friedrich, sont à la hauteur de leur réputation par la perfection et l’homogénéité dont ils font preuve. Ils assurent la continuité de la tradition dans ce spectacle volontiers provocateur.

Le prochain Festival de Bayreuth, outre Lohengrin, Parsifal et Les Maîtres Chanteurs, verra la nouvelle production de Tannhäuser mis en scène par Sebastian Baumgarten (et dirigé par Thomas Hengelbrock) ainsi que celle de Tristan et Isolde dans la régie de Christoph Marthaler, en attendant en 2012 Le Vaisseau Fantôme conduit par Christian Thielemann, ainsi que la future Tétralogie.

Michel Le Naour

R. Wagner : Lohengrin - Festspielhaus de Bayreuth, 17 août 2010

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Michel Le Naour

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles