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Compte-rendu : Ferveur maîtrisée - Tugan Sokhiev dirige Eugène Onéguine à Pleyel


« Je suis Russe jusqu’à la moelle des os » écrivait Tchaïkovski. Cette version de concert, Salle Pleyel, d’Eugène Onéguine dans une mise en espace minimaliste mais efficace d’Anatoly Galaov, aurait sans nul doute répondu aux vœux du compositeur sous la baguette précise et chorégraphique de Tugan Sokhiev. Le jeune directeur musical du Capitole de Toulouse a montré une intensité de tous les instants, communiquant à chacun la fièvre des passions contrariées et un sens poétique d’une intériorité totalement maîtrisée.

Ce disciple de Temirkanov et de Gergiev a en effet subjugué le public parisien par sa capacité à s’immerger dans cette partition où le drame personnel se conjugue avec la dimension tragique de la vie. Sa direction, qui met l’accent sur la psychologie des êtres, se prête constamment à la transparence d’une écriture fluide parfois mozartienne, ce qui ne l’empêche pas de cingler la célèbre Polonaise du III et d’emporter l’orchestre dans un élan contagieux.

Au sein d’une distribution vocale issue majoritairement du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg et préparée par Larissa Gergieva, sœur de Gergiev, se détache la Tatiana de la soprano Gelena Gaskarova totalement investie dans un rôle dont elle détient tous les atouts. Emouvante à tirer des larmes dans les tendres bouleversements du cœur de la scène de la lettre, elle incarne toutes les facettes du personnage romanesque tiraillé par le sens du devoir et de l’honneur. La projection de sa voix au timbre généreux et passionné illumine la soirée.
A ses côtés, le baryton anglais Garry Magee (Onéguine) possède une belle ligne de chant tout en manifestant une certaine réserve. Il s’en libère dans la scène du duel ainsi qu’à la fin de l’ouvrage, tenaillé par le remords et le désespoir.

Le ténor Daniil Shtoda convainc en Lenski pris dans les rets du Destin, déchiré par la mort qu’il pressent. Graves impressionnants, stature de pope venu d’un autre âge, la basse Mikhaïl Kolelishvili ajoute à la couleur locale de cette interprétation qui porte tout le poids d’une Russie immémoriale. François Piolino campe un Monsieur Triquet légèrement tendu, mais ne démérite pas et rappelle la fascination que le classicisme français exerçait sur Tchaïkovski. Il faut enfin mentionner l’excellente participation des chœurs du Capitole de Toulouse et Coro Easo dirigés par Alfonso Calani qui contribuent à la réussite de cette production.

On attend impatiemment la version de concert du Samson et Dalila de Saint-Saëns programmée avec le même orchestre Salle Pleyel en mai 2011 !

Michel Le Naour

Paris, Salle Pleyel, 1er juin 2010

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Photo : DR

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