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Compte-rendu : Falstaff au Angers Nantes Opéra - Verdi tonique


Richard Strauss voyait en Falstaff (1893) le plus grand opéra de tous les temps. Au regard du spectacle donné à l’Opéra de Nantes, ce jugement se justifie pleinement. On assiste, en effet, à l’une des meilleures représentations que l’on ait vue et entendue de cette œuvre écrite par un compositeur quasi octogénaire au sommet de son art.

Le tandem Patrice Caurier et Moshe Leiser se montre une nouvelle fois à la hauteur de sa réputation avec une mise en scène ingénieuse et respectueuse du livret. Dans des costumes actualisés (un Falstaff façon rocker), des allusions contemporaines à la comédie musicale ou au théâtre de boulevard, les personnages vivent des situations ludiques (on s’amuse beaucoup !) mais aussi tragiques (l’hallucinante apparition de Falstaff affublé d’une prothèse boursouflée se dénudant sans pudeur ou encore l’humiliation de la scène de la forêt au III, plus inquiétante que vraiment comique). Une implacable machination tant politique que sociale se met en place avec une cruauté dissimulée par la farce. Le dispositif tournant qui laisse voir plusieurs actions simultanées ajoute à l’inventivité d’une scénographie en constant renouvellement.

D’une grande cohérence, la distribution offre un travail d’équipe parfaitement rôdé, implacable par sa mécanique horlogère. Dans le personnage-titre, force de la nature et colosse aux pieds d’argile, le baryton anglais John Hancock en Sir John Falstaff ne peut qu’attirer la sympathie. D’une véritable aisance théâtrale, émouvant, humain, il impose une stature et un timbre qui, sans être profond, présente une ligne de chant très homogène. Les deux ladres (le Bardolfo d’Eric Huchet et le Pistola de Jean Teitgen) sont des serviteurs plus vrais que nature, d’une bassesse et d’un opportunisme sidérants. Tassis Christoyannis, en Ford, possède une maîtrise du chant verdien qui s’exprime avec tact à l’acte II dans sa rage de mari jaloux (air « E sogno ? o realtà ? »). Caricatural, le Docteur Caïus du ténor Colin Judson est impayable de cécité tant physique que morale.

Les rôles féminins sont tenus avec espièglerie, férocité et drôlerie communicative. Outre l’entreprenante Mrs Quickly de la mezzo-soprano Elena Zilio, dont la présence fait oublier une ligne de chant plus proche du sprechgesang que de la déclamation voulue par Verdi, la prestation de Véronique Gens, une Alice Ford très bourgeoise décalée, en verve vocalement, s’accorde avec celle de Leah-Marian Jones, Mrs Meg Page à l’assurance expressive. On a aussi des yeux de Chimène pour le couple enthousiaste de la jeune Amanda Forsythe, Nannetta légère et subtile, et de Luciano Botelho en Fenton très épris, démonstratif dans emportements amoureux bien qu’un peu tendu dans sa complainte du troisième acte (« Dal labbro un canto estasiato vola »).

A la tête d’un Orchestre National des Pays de la Loire et du Chœur d’Angers Nantes Opéra plein de verve, de saveur et dynamique jusqu’à l’étonnante fugue finale, le chef anglais Mark Shanahan (que l’on avait déjà apprécié in loco la saison dernière dans L’Affaire Makropoulos de Janacek) manifeste une précision, une vivacité enjouée, un sens de l’équilibre entre fosse et plateau tout à fait remarquables. A la fois limpide, puissant et sanguin, il rend parfaitement justice à cette tragi-comédie gorgée de vie. « Le monde est une farce » affirme, in fine, Falstaff. On ne sort pourtant pas totalement indemne de cette « folle journée » nantaise qui restera dans les mémoires.

Michel Le Naour

Verdi : Falstaff - Nantes, Théâtre Graslin, 20 mars 2011, prochaines représentations le 22 mars, puis à Angers (Le Quai) les 31 mars et 3 avril 2011. www.angers-nantes-opera.com

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Photo : DR

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