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Compte-rendu - Danse - Roméo et Juliette à l’Opéra de Genève, classique d’avenir


Il est « entré en danse » grâce au Roméo et Juliette de Béjart, quand son lyrisme palpitant montait dans la nuit avignonnaise de la fin des années 60 : heureux auspices donc pour Philippe Cohen, alors adolescent. Un choc qui allait le lancer dans l’ascèse de la danse classique et rattraper le temps perdu avec une insatiable curiosité. Passé chez Rosella Hightower, au ballet de Nancy, au jeune ballet d’Europe, adorateur de Pina Bausch autant que de Béjart, celui qui dirige aujourd’hui le Ballet de l’Opéra de Genève y fait montre d’une ouverture et d’une habileté qui ont largement porté leurs fruits depuis cinq ans, avec l’aide du Directeur de l’Opéra, Jean-Marie Blanchard, plus concerné par la danse qu’il n’est d’usage chez ses confrères.

Les salles se sont mises à se remplir, le public, peu à peu « informé plus que formé »- on reconnaît là l’intelligence de cet homme de danse qui ne se veut pas doctrinaire -, a découvert de grands noms de la danse contemporaine, avec des échecs que Cohen reconnaît sans peine. Et la troupe est aujourd’hui à la hauteur d’une vision comme celle de Joëlle Bouvier, l’une des divas de la danse française, qui se plie ici, sans rien perdre de son style, aux exigences d’un vrai spectacle : en offrant à la scène genevoise un Roméo et Juliette dans les règles, parfaitement ciselé, superbement épuré, et plus chargé d’émotion que les diktats de la danse contemporaine ne l’autorisent habituellement.

Premier volet d’une année Prokofiev qui verra également la création de Cendrillon, confiée à Michel Kelemenis, autre grand, voici que se trouve bouclée le rêve de Cohen depuis son choc béjartien, lequel puisait dans Berlioz son souffle brûlant. Un Roméo très largement supérieur à celui proposé par l’Opéra de Paris avec la médiatique patte de Sasha Waltz, qui s’était contentée de statufier les danseurs. Ici Bouvier fait mouche avec ses entrelacements de corps qui, haineux ou amoureux, n’en finissent pas de se happer, les tensions sont violentes mais contrôlées, et la maîtrise de l’espace, déroulé en une estrade en biais qui s’ouvre comme une ammonite, dégage les lignes de force du drame avec éloquence. Accueilli triomphalement, le ballet s’en va courir les routes, et passera notamment par Caen, en juin 2010. Philippe Cohen, lui, savoure cette réussite qui est bien évidemment celle de ses excellents danseurs, de la dévoreuse Juliette de Cécile Robin Prévallée au fragile Roméo du tout jeune Damiano Artale et au somptueux Tybalt de Loris Bonani. Son pari d’arracher le suivi d’un sujet à une chorégraphe contemporaine n’était pas une mince entreprise !

Jacqueline Thuilleux

Prokofiev : Roméo et Juliette - Genève, Grand Théâtre, du 5 au 10 mai 2009

> Grand Théâtre de Genève 09/10

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Photo : GTG/Magali Douglas

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