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Compte-rendu : Damned ! - Simon Boccanegra selon Jorge Lavelli à Toulouse

Jorge Lavelli aime les théâtres improbables. Avant même que la Halle aux grains ait gagné son statut de salle de spectacle, il y avait brillamment mis en espace un autre opéra politique : le Fidelio de Beethoven.

Les choses ont changé depuis 1977, et pour Lavelli et pour la Halle aux grains : la salle s’est dotée d’une vraie fosse et d’un vrai plateau, et le metteur en scène a un peu baissé sa garde quant à ses mises en scènes lyriques, lui qui fut si productif et inventif tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt. Son Faust à grand spectacle (et à l’impressionnant dispositif de verrière) pour Garnier est certes devenu un classique souvent repris, et son Enfant et les Sortilèges tout à la fois magique et ironique fait une carrière quasi planétaire (plutôt sans son complément, Oedipus Rex, qu’avec).

Dans son univers, le baroque, déjà présent (Dardanus, et ses songes volants) s’est affirmé en Haendel (Siroe re di Persia, Ariodante), alors qu’à l’autre extrême du répertoire un Vaisseau Fantôme encombré par une scénographie pas toujours heureuse tirait la sonnette d’alarme ; mais ce furent les créations où son art libre et inventif s’épanouit. On n’a oublié ni la Medea de Rolf Liebermann pour Bastille, ni Babel 46 de Montsalvage). Et l’on se disait que Simon Boccanegra, sujet avant tout politique, était pour Lavelli, de plus à la Halle aux grains, inratable.

Patatras.

Lavelli n’interprète rien, transpose, sans douleur mais sans gain sensible, dans son époque moderne habituelle, pré-industrielle. Tout juste souligne-t-il la malignité du destin, politique comme familial, par quelques tombées de démons ailés. Sobre son geste l’est presque par réflexe esthétique, alors même qu’au théâtre il a gardé tout le feu qui produisait des spectacles aussi inoubliables que La Mante polaire ou Les Quatre jumelles, à l’opéra une distance semble s’être établie.

Sa direction d’acteur souffre d’une schizophrénie ; d’intention, de rapport elle reste profondément théâtrale, mais en terme de langage, de grammaire, on la trouve érodée, noyautée par un arsenal de facilités et de conventions qui semble vouloir rappeler que l’on est absolument à l’opéra : ces gestiques surannées des chanteurs, cet espace habité si platement (alors même que le public enserre la scène) sont au mieux un abandon au pire le dévoiement d’un art.

L’émotion affleure pourtant, lorsque Lavelli trouve derrière les chanteurs de vrais talents d’acteurs : il n’a pas à pousser beaucoup l’extraordinaire Alexia Voulgaridou pour relever le portrait d’Amelia Grimaldi, au point même que c’est elle cette fois l’héroïne de l’opéra, et non son Doge de père. La voix est belle, pleine, ample, avec ce médium qui promet pour demain de beaux développements dramatiques ce que confirme l’aigu, moins aérien et lumineux que voici quelques années (on se souvient de sa Sophie stratosphérique pour le Prinzregententheater), mais surtout l’actrice surprend repeignant en couleurs vives une héroïne qui n’est en général que sentiments. En la mettant au premier plan de sa maigre dramaturgie, Lavelli veut certainement souligner qu’elle seule, étrangère absolument à la politique, est ici l’unique personnage porteur de rédemption.

Hormis Amelia, tous les autres protagonistes sont comme raidis dans leurs conventions (et dans leurs costumes). Si Andrzej Dobber est sans conteste le grand baryton Verdi du moment, son Boccanegra très peu paternel tient avant tout du monstre politique (alors que son regretté compatriote Wojtek Drabowicz insistait sur la fibre intime et l’humanisme du Doge). Réduction de sens que l’instrument opère aussi, frileux à l’aigu (et pas seulement pour la longue tenue sur « figlia »), refusant l’allègement en voix de tête que Cappucilli produisait avec tant d’expressivité. Mais l’incarnation reste majeure. On n’en dira pas autant du Fiesco trop uniment noble – jusque dans la fureur- selon Arutjn Kotchinian : les graves n’y sont pas, ou indélicatement posés à la limite de la justesse. Formidable Paolo de Robert Bork, jamais cauteleux mais toujours dangereux (et lui aussi noble à sa façon), exemplaire Pietro de Yuri Kissin, dont la voix semble s’étoffer dans le médium depuis une saison. Tous feraient une vraie équipe si Marco Armiliato auquel le Capitole doit au moins les soirées de fête d’un Trittico mémorable, ne les plantait pas tous là, ne les portant jamais, les suivant plutôt que de les précéder.

Il est peu dire que Boccanegra ne l’a guère inspiré ; ensemble atone, tempos lentissimes, rien qui rende justice à la saveur si particulière d’un orchestre que Verdi avait voulu plus âpre et plus minimaliste qu’en aucun autre de ses opéras.

Par moments, la fosse se ravivait : lorsque Stefano Secco de sa voix énergique, redonnait enfin un élan rythmique à la soirée. Son Gabriele Adorno est mieux qu’un modèle, l’incarnation d’une italianita vocale qui faisait défaut en fait à une distribution souvent peu soucieuse des mots.

Jean-Charles Hoffelé

Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra - Toulouse, Halle aux grains, le 9 octobre, puis les 11, 13, 16, 18 et 20 octobre 2009.

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Photo : Patrice Nin
 

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