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Compte-rendu : Ben Hur dans la grande nef d'Orsay -Thierry Escaich à l'« orgue de cinéma »


Pour rehausser d'un autre type de visualisation les dernières semaines de l'exposition Jean-Léon Gérôme (1824-1904), le Musée d'Orsay proposait un cycle cinématographique consacré au Peplum (28-décembre-23 janvier), genre influencé par la peinture monumentale et historicisante du peintre. Avec notamment, le 18 janvier, LA superproduction du cinéma muet : Ben-Hur (A Tale of the Christ), réalisé en 1925 par Fred Niblo, avec Ramon Novarro dans le rôle titre (un Tom Cruise de l'époque) : trois ans de tournage entre Italie et Californie, le plus gros budget de l'ère du muet (quatre millions de dollars), des scènes à très grand spectacle dont une bataille navale (trente-deux navires réels, quarante-huit caméras !), une course de chars d'anthologie (douze de front et pas moins de quatre mille figurants)… Film grandiose mais également merveilleusement humain, splendide de modernité sur le plan des techniques et de l'esthétique de prise de vue (avec quelques séquences en couleur ou bichromie), kaléidoscope d'univers contrastés mais d'une cohérence dramatique tout simplement formidable.

En dessous de l'horloge monumentale de la nef du Musée d'Orsay était tendu un écran géant, sur le pavage trônait la console d'un orgue Allen à échantillonnage numérique : à la fois grand orgue traditionnel, orgue de cinéma (sonorités caractéristiques avec « tremblant rapide » et une foule d'accessoires sonores), mais aussi orchestre et chœur – à tout le moins hollywoodien. Aux quatre claviers manuels et pédalier (pour, notamment, de fantastiques effets de timbales soutenant le grand orchestre de la MGM au complet !) : Thierry Escaich, compositeur et improvisateur hors pair, musicien des plus intuitivement éclectiques – il vient de publier un double CD orgue et trompette avec Éric Aubier (Indésens INDE025) : aux œuvres des baroques et classiques répondent celles d'Escaich, Jevtic, Jolivet, Bacri et Tomasi. Lequel Escaich, pendant deux heures et demie et sans la moindre chute d'acuité, commenta musicalement la trame héroïque, tragique, sensible, en un mot mythique de ce premier Ben-Hur du grand écran.

Sur une telle durée, il aurait été impossible, ou contreproductif, d'illustrer scène par scène, détail par détail, ce chef-d'œuvre du Peplum au souffle puissant. Grand connaisseur du genre et habitué à improviser sur les films muets – bien que sans pratiquer celui-ci de longue date ni l'instrument, de réalisation récente (l'imposante amplification était disposée derrière l'écran), Escaich fit tout simplement des prodiges. Sur « l'instrument du délit », ainsi que, devançant l'indignation des puristes, il le qualifiait sur sa page Facebook, Escaich improvisa en parfaite symbiose avec l'écran sans jamais empiéter sur l'image, offrant un commentaire brillantissime et calibré des différents climats du film, intense de beauté et d'engagement, parfois extrêmement sombre ou cinglant – de la sphère intime aux scènes de foule (avec quelques clins d'œil, sobrement et magistralement intégrés, aux musiques hollywoodiennes patentées – Nativité et adoration des Mages avec « chœur biblique »).

Souplesse du propos musical, de son rythme interne et de sa concrétisation, raffinement de la mise en image sonore, réactivité incomparable, synchronisme aussi affranchi que réel, c'est-à-dire sans chercher à décalquer l'image, la musique gardant une pleine et entière liberté de commentaire : les sujets d'émerveillement furent légion, sans oublier la vaillante endurance qu'il faut pour tenir sans flancher – il faut dire que les deux heures et demie du film passent sans jamais peser, a fortiori illustrées par Escaich. Les temps forts furent musicalement saisissants, l'exacte simultanéité de l'action visuelle et sonore, cette dernière soudainement et drastiquement ajustée sur l'image (coup de béliers éventrant les navires, course suicidaire des chars dans un stade surchauffé), ajoutant à une tension qui semblait ne jamais devoir cesser son ascension, jusqu'au point de rupture. Fascinante rencontre d'un lieu, d'une œuvre, d'un recréateur.

Michel Roubinet

Paris - Grande nef du Musée d'Orsay, Paris ; 18 janvier 2011

Sites Internet :

Thierry Escaich

http://www.escaich.org/accueil.html

Le cinéma au Musée d'Orsay ( Peplum)

http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/cinema.html

Orgue Allen (Modèle STR-4 Walt Strony Signature) installé pour l'occasion au Musée d'Orsay

http://www.orgue-allen.com/catalogue/cinema/gw4/index.html

Ben-Hur (1925)

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=5000.html

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