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Compte-rendu : Au cœur du Seicento romain - Les Vêpres de Mazzocchi par le Cantus Cölln


Constatons d’abord qu’aux origines de la musique baroque les initiatives sont toujours venues d’Italie. Ainsi du Vespro de Monteverdi (1610), avec qui, trois ans après la fable fondatrice de L’Orfeo, la modernité fait son entrée triomphale à l’office.
Dans le sillage de l’événement, plusieurs générations de musiciens de premier plan vont écrire des motets et psaumes se prêtant à la reconstitution de Vêpres démarquées du modèle monteverdien.

Parmi ceux-ci, Virgilio Mazzocchi (1597-1646) est avec son frère aîné Domenico (1592-1665) l’une des figures dominantes du Premier Baroque romain, maître de chapelle dans des sanctuaires aussi importants que l’église du Gesù et la basilique Saint-Jean-de-Latran, avant de diriger la Capella Giulia au Vatican, de 1629 à sa mort.

Egalement auteur dramatique (il composa plusieurs opéras, des drames latins, des oratorios, ainsi que des comédies en musique), il a surtout laissé une abondante production religieuse, dont deux livres de motets et de psaumes, le meilleur tenant dans les imposants Psalmi Vespertini à double chœur, publiés en 1648.

Un virtuose de l’écriture y triomphe, au gré d’un savant équilibre entre le stile antico (la maîtrise de la polyphonie traditionnelle) et l’urgence du stile nuovo transposé du tout jeune opéra (recours au recitativo et expressivité des effets dramatiques). En d’autres termes, une manne s’offrait là au très avisé Konrad Junghänel, en quête d’une reconstitution vespérale crédible, c’est-à-dire telle qu’on eût pu l’entendre en la basilique Saint-Pierre autour des années 1640.

Le résultat tient dans ces Vêpres de la Vierge données à l’Auditorium du Louvre dans le cadre du cycle « Printemps du Baroque ». Un vrai chef-d’œuvre revit ici, à la fois composite - car Mazzocchi n’y est pas le seul auteur sollicité - et étonnamment homogène, les musiciens étant évidemment ceux du Cantus Cölln, passés maîtres dans l’art d’une polyphonie solistisante (un chanteur par partie).

La vocalité rayonnante du trio féminin - Johanna Koslowsky, Mechthild Bach, Elisabeth Popien - s’y remarque, ainsi que Hans Jörg Mammel, ténor à la musicalité imparable, au style toujours idiomatique (des vertus un peu moins évidentes chez le contre-ténor Henning Voss). Cependant que l’accompagnement instrumental est idéalement agissant, par la grâce d’un agile consort de violon, violes et orgue et plus encore – référence incontournable en matière de cuivres d’époque - des souffleurs du Concerto Palatino, emmenés par le cornetto de Bruce Dickey (une inoubliable Canzona de Frescobaldi, autre Romain insigne, entre autres).

Nous avons dit l’emprise du double chœur au long de l’exhumation, jusqu’à entretenir l’illusion d’une spatialité à la vénitienne. A cet égard, Konrad Junghänel s’investit en maître acousticien, colorant d’affects très italiens le dialogue voix-instruments, outre ces incises solistes bienvenues, empruntées à plusieurs contemporains notoires, condisciples ou prédécesseurs de Mazzocchi dans la Ville Eternelle (en particulier, un mystique Salve Regina de Carissimi).

Assurément, la série de concerts du « Printemps du Baroque » au Louvre ne pouvait pas mieux commencer qu’avec ces Vêpres mariales, par ailleurs enregistrées quasiment à l’identique chez Harmonia Mundi, au gré d’un récent album appelé à une large diffusion; image on ne peut plus séduisante de ce que la réalité historique et liturgique a pu être, au cœur du Seicento romain.

Roger Tellart

Paris, Auditorium du Louvre, 10 février 2010

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Photo : DR

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