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Compte-rendu : 80e anniversaire de Jean Guillou - Au-delà de l’orgue


Reporté pour la même raison que le Festival 2010 de Saint-Eustache (réfection et modernisation de la console de nef, cf. Actualité du 22 octobre), ce concert hommage à et de Jean Guillou (photo), guère fêté « officiellement » en France, comme c'est le lot habituel des organistes et donc jusqu'aux plus grands – il était en Allemagne et en Autriche autour du 18 avril –, a finalement été donné dans la foulée du Festival. Si un concert avec grand orchestre fut un temps rêvé, le coût rédhibitoire fit opter pour un concert avec orchestre de chambre : l'excellent Ensemble Il Divertimento, dirigé par Giuseppe Marotta, constitué de jeunes musiciens originaires de Vénétie guidés par le M° Piero Toso, l'un des premiers violons emblématiques de I Solisti Veneti, lui-même fondateur de l'Orchestra da camera di Padova e del Veneto (1965). Outre les quatre-vingts printemps de Jean Guillou, ce concert fêtait la sortie d'un CD et d'un DVD consacrés à des œuvres du maître de Saint-Eustache.

Printemps, en effet, tant le jeu du musicien n'a rien perdu de sa fraîcheur et de son mordant. Le Concerto en sol mineur op.4 n°1 de Haendel en fit la démonstration. Un Haendel tonique, percutant, adaptant style et articulation aux conditions de jeu sur un très grand instrument à transmissions électriques avec machine Barker. Si le souci majeur n'était certes pas philologique, le résultat n'en fut pas moins convaincant en termes de présence et d'impact – jusqu'à cette imposante cadence, hors du temps de Haendel, à la fin du premier mouvement, qui à l'instar des ultimes mesures du finale fit largement basculer l'équilibre dynamique entre orgue et orchestre du côté du soliste. Sans lien avec Jean Guillou et pas forcément en situation sous des voûtes aussi généreuses, Il Divertimento en formation réduite offrit – de même qu'il offrait gracieusement sa participation en hommage à Jean Guillou (le même programme était donné quelques jours plus tôt en Vénétie) – l'Octuor op.20 de Mendelssohn. Magnifique de souffle et d'aisance bien qu'un peu brouillé dans ce type d'acoustique.

La musique de Jean Guillou était naturellement elle aussi à l'honneur, à travers deux aspects de son catalogue, vaste et d'une diversité insoupçonnée. Tout d'abord une œuvre assez récente : Co-incidence op.63 pour violon seul, page d'une remarquable ampleur et pourtant, comme souvent chez Guillou, d'une non moins remarquable concision. Épique, lyrique et d'une écriture complexe répondant merveilleusement aux possibilités de l'instrument à cordes, aussi contemporaine que lointain écho des grands romantiques, l'œuvre a d'emblée séduit, sous l'archet fervent d'Alessandro Cappelletto, un public surpris de l'aisance dont Guillou a en fait toujours témoigné à l'égard des cordes.

Le programme se refermait sur la seconde audition de l'unique œuvre sérielle de Guillou, son Troisième Concerto pour orgue et cordes op.14. Créée par lui-même en 1972 à la Radio (voir ci-dessous) et, semble-t-il, jamais rejouée, l'œuvre est à tous égards étonnante. À travers cette tentative de se frotter au sérialisme ambiant sans renoncer à sa flamme romantique ou à sa propre conception de la modernité, Guillou signait une œuvre saisissante d'acuité, aux climats extrêmement contrastés, virtuose et prenante – à maints égards exaltante à Saint-Eustache –, avec de nouveau une cadence, gigantesque et extravagante, exigeant des doigts aguerris à l'extrême, néanmoins restituée telle une promenade de santé par un Guillou en très grande forme.

Dialogue chaleureux avec l'orchestre, sans doute moins présent que dans l'acoustique sèche du Studio 104 de la création, mais parfaitement à l'écoute du soliste. Après quoi, chauffé à blanc, Guillou donna en bis la première partie de sa version syncrétique du B.A.C.H de Liszt… Succès assuré et mérité pour l'un des grands noms français de l'orgue mais pas seulement, tant son univers dépasse les limites, déjà intimidantes, de son instrument de prédilection.

Michel Roubinet

Paris, église Saint-Eustache, dimanche 14 novembre 2010

N.B. Parallèlement à la sortie d'un second DVD Oko Films (avec notamment le Concerto pour trompette et orgue L'ébauche d'un souffle, capté lors du Festival 2009 [cf. Actualité du 11 juin 2009], le Colloque n°5 pour piano et orgue et La Chapelle des Abîmes d'après Julien Gracq), vient de paraître un CD réunissant le Concerto grosso op.32 (bois par 2, 2 cors et cordes), sous sa forme révisée de 2008, ainsi que le Concerto 2000 pour orgue et orchestre, capté en l'an 2000 à Saint-Eustache – Orchestre National des Pays de la Loire, direction : Vincent Barthe, avec Jean Guillou à l'orgue, distribution Codaex. Entretien avec Jean Guillou à propos de ces deux Concertos [cliquer sur le n°94] : http://www.codaex.com/fr-info.html.

Sites Internet :

Argos (Association pour le Rayonnement du Grand Orgue de Saint-Eustache)

http://www.orgue-saint-eustache.com/

Catalogue des œuvres et discographie de Jean Guillou

http://www.jeanguillou.org/JeanGuillou/JGmainFR.html

DVD n°2 Oko Films : L'ébauche d'un souffle

http://www.jeanguillou-dvd.org/index_fr.php?page=dvd2_fr

En téléchargement sur le site de l'INA : création du Troisième Concerto pour orgue et orchestre à cordes op.14 (+ Symphonie n°2 pour cordes et Inventions pour orgue et orchestre de chambre). Jean Guillou à l'orgue du Studio 104 de la Maison de la Radio, Orchestre de chambre de l'ORTF dirigé par André Girard, 27 décembre 1972.

http://www.ina.fr/audio/PHD99244591/concert-de-l-orchestre-de-chambre-de...

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Photo : © Walter Gross

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