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Circus Days and Nights de Philip Glass en création mondiale à Malmö (Streaming) – Un opéra sous chapiteau – Compte-rendu

De ce qui est parfois le cauchemar des mélomanes – un spectacle lyrique joué sous une tente – Philip Glass a su faire un rêve, avec la complicité de la troupe suédoise Cirkus Cirkör. Depuis plusieurs années, le compositeur américain projetait de mettre en musique l’ultime recueil de poèmes de Robert Lax (1915-2000), Circus Days and Nights, publié l’année de sa mort. Ce qui l’en avait jusqu’ici retenu, c’était le problème de la forme et des interprètes nécessaires pour associer cirque et opéra. Mais tout a changé en 2016, quand Satyagraha fut monté à Stockholm par Tilde Björfors, directrice de Cirkus Cirkör. Le projet d’opéra « circassien » (rappelons que ce terme, bien que très employé, signifie en bon français « originaire de Circassie, région située au nord du Caucase ») a donc vu le jour, sur un livret co-écrit par la metteuse en scène et par David Henry Hwang, auteur de plusieurs livrets pour Philip Glass, mais aussi pour Unsuk Chin ou Osvaldo Golijov. Livret non narratif, ce qui avait fort bien réussi au compositeur à ses débuts, puisque les poèmes de Lax sont des évocations de l’univers du cirque, auquel aucune intrigue n’est ici superposée. Rien que le quotidien des artistes ambulants qui montent et démontent leur chapiteau, rien que l’admiration inspirée par ceux qui risquent chaque soir leur vie pour faire rêver les spectateurs. L’opéra Circus Days and Nights a lui-même une forme cyclique, puisque l’on retrouve à la toute fin le tout premier poème sur lequel s’ouvrait la représentation.
 

© Mats Bäcker

La partition est une musique de cirque, en un sens, non parce qu’elle rappellerait l’Entrée des gladiateurs de Fučík ou un autre tube des chapiteaux, mais parce qu’elle met au premier plan l’accordéon (l’ensemble de sept instrumentistes est d’ailleurs dirigé par l’accordéoniste Minna Weurlander), la trompette et la batterie, dans ce style « répétitif » ou « minimaliste » bien connu depuis un demi-siècle. Sur le plan vocal, c’est une troupe de chanteurs-acrobates que l’on entend et que l’on voit se produire, comme au bon vieux temps du Gala de l’Union où n’hésitait pas à se produire une artiste lyrique comme Mady Mesplé. S’en détachent quelques silhouettes comme la mezzo Karolina Blixt en « Madame Loyal », les deux personnages principaux étant le jeune Robert Lax (soprano) et le vieux Robert Lax (baryton). Avec dix dates entre le 29 mai et le 13 juin, une double distribution a été prévue, mais en ce soir de première, ces deux rôles sont tenus par Elin Rombo et  Jakob Högström, la première se taillant la part du lion, comme elle le mérite par la clarté de son timbre et la qualité de sa diction, et par la témérité avec laquelle elle partage l’envol d’un des acrobates tout en émettant des aigus cristallins.
 

© Mats Bäcker

La magie du spectacle tient évidemment en grande partie aux évolutions constantes de la douzaine d’artistes (trapézistes, jongleurs, acrobates…) qui unissent leur voix en un chœur ou bénéficient de quelques répliques solistes, même si cet opéra laisse aussi une large place à la musique purement instrumentale. On est aussi séduit par l’inventivité des costumes signés Magdalena Åberg, dont les couleurs primaires et les motifs géométriques parcourent une large gamme d’esthétiques, du Picasso des Saltimbanques et de Parade jusqu’aux gros pois de Yayoi Kusama en passant par les quadrillages de Léon Bakst pour Le Martyre de saint Sébastien ou les cercles et les robes « simultanées » de Sonia Delaunay.

Laurent Bury

Philip Glass : Circus Days and Nights (création mondiale) –Malmö, Opéra, 29 mai 2021 (distribution A) ; disponible en live streaming jusqu’au 13 juin / www.malmoopera.se/circus-days-and-nights-in-english

Photo © Mats Bäcker
 

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