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Célia Oneto Bensaid en récital à la salle Cortot (saison Pro Musicis) – Marie Jaëll en perspective – Compte-rendu
« Soyez-vous même, tous les autres sont déjà pris ». Célia Oneto Bensaid a-t-elle médité le mot fameux d’Oscar Wilde ? ; une chose est sûre en tout cas, depuis le début de son parcours la pianiste trace une voie particulièrement originale, partagée entre l’activité soliste et l’accompagnement. Elle forme en effet depuis 2011 un duo avec la soprano Marie-Laure Garnier, qui s'est d'ailleurs illustré il y a peu dans un bel album "Chants nostalgiques" (Fauré, Chausson, Sohy) impliquant aussi le merveilleux Quatuor Hanson (1). Activité partagée, mais sans qu’il soit question pour elle de faire les choses à moitié, d’un côté comme de l’autre.
C’est en récital que l’on a retrouvé la jeune femme à la salle Cortot, dans le cadre de la saison Pro Musicis, pour un programme en lien direct avec son actualité discographique et nouvelle preuve de sa curiosité : un somptueux enregistrement (2) de Ce que l’on entend, corpus (de trois cahiers de six pièces) inspiré par la Divine Comédie de Dante que Marie Jaëll (1846-1925) termina en 1894. Réalisation fascinante par le minimalisme de son matériau de départ (les quatre premières notes du Dies iræ), le triptyque de la compositrice alsacienne peut dérouter de prime abord un public accoutumé à des pages fameuses du piano romantique ; la meilleure façon de le faire connaître est certainement de le mettre en perspective en associant de larges extraits à des compositions d’un contemporain, ami et admirateur de Marie Jaëll dont l’approche révolutionnaire du clavier a profondément marqué cette dernière : Franz Liszt.
Telle est l’option choisie par Celia Oneto Bensaid, qui entoure 12 (3) des 18 numéros de Ce que l’on entend de pages lisztiennes fameuses telles que l’Etude de concert n° 3 « Un sospiro », Aufenthalt et Ständchen, deux transcriptions de Schubert, ou bien plus rare dans le cas de l’obsessionnelle Méphisto-Valse n°3, très différente de la rebattue n° 2 et parfaitement en situation un peu avant Obsession, dernier morceau du Purgatoire jaëllien. On aura été comblé par le jeu bien timbré de Celia Oneto Bensaid, expressif mais sans surcharge dans Liszt (exemplaire Ständchen), autant que par son approche de la musique de Jaëll.
La partition est techniquement redoutable, certes, mais par-delà la maîtrise digitale que manifeste l'artiste, on admire d'abord sa compréhension intime de la musique. Plus un recoin de celle-ci ne lui échappe après l’avoir beaucoup jouée en public : comme dans son enregistrement, la pianiste récolte les fruits de cette fréquentation assidue et procure à l’auditeur une perception organique du texte musical, de l’incessante métamorphose à laquelle la compositrice soumet le matériau de départ, toujours mue par un dessein poétique. Magnétisme, souffle, puissance des images : de la Poursuite intiale de L’Enfer à la pureté apaisée de la Contemplation conclusive du Paradis – servie, comme les Voix célestes et Hymne par un toucher d’un raffinement peu commun –, en passant par un Purgatoire souvent convulsif (saisissantes Obesssions !) l’interprète installe un univers sonore dont le magnétisme, le souffle, la puissance visuelle emportent l’adhésion.
Aux métamorphoses dantesques imaginées par Marie Jaëll répond en bis l’une de celles, kafkaiennes, de Philipp Glass, dont Célia Oneto Bensaïd a, on s’en souvient, enregistré une superbe version au sein d’un très original programme Glass-Ravel-Pépin ( #NoMadMusic).
Signalons enfin à ceux qui sont présents à Rennes ce 23 février que la découvreuse pianiste sera la soliste de l’Orchestre national de Bretagne, dirigé par Aurélien Azan Zielinski, dans le Concerto pour piano en ré mineur op. 7 de Vítezslava Vita Kaprálová, compositrice tchèque précocement disparue en 1940 (à Montpellier) à l’âge de 25 ans. (4)
Alain Cochard
Paris, Salle Cortot, 13 février 2023 // Saison Pro Musicis : bit.ly/3k72cJl
(2) 1 CD Présences Compositrices / PC 001
(3) Ce que que l’on entend dans l’Enfer : n° 1-Poursuite ; n° 3-Appel ; n° 4-Dans les flammes ; n° 5-Blasphèmes // Ce que que l’on entend dans le Purgatoire : n° 1-Pressentiments, n° 2-Désir impuisssants ; n° 4-Remords ; n° 5-Maintenant et Jadis ; n°6-Obsession // Ce que que l’on entend dans le Paradis : n° 2-Voix célestes ; n°3-Hymne ; n° 6-Contemplation
(4) Orchestre national de Bretagne, 23 mars 2023 : bit.ly/3EnkFYZ
Photo © Studio Iconographia
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