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La Chronique d'Emilie Munera - Catalogue d’oiseaux [disparus]

À l’heure du dérèglement climatique, les préoccupations écologiques sont naturellement au centre de toutes les réflexions. Le milieu de la musique classique n’y échappe pas et tente de prendre un virage écologique. S’il reste encore beaucoup à faire – les bilans carbone des chefs d’orchestre sont par exemple souvent épinglés – de nombreux acteurs du monde du spectacle essayent cependant de faire évoluer les choses. Le festival Yehudi Menuhin de Gstaad par exemple, s’est donné trois ans pour devenir une manifestation éco-responsable. Même l’industrie du disque se met au vert, à l’instar du label Bis qui propose des pochettes “ecopack” faites en carton et utilisant de l'encre de soja, de la colle écologique et un vernis à base d'eau.

Toute initiative est évidemment bienvenue. Mais le dérèglement climatique fait naître d’autres sujets de réflexion. Et plus que le lien entre musique et écologie, c’est celui entre musique et biodiversité qui m’interroge aujourd’hui. Inutile de rappeler que la musique s’inspire de la nature depuis la nuit des temps. Quand on évoque les reflets dans l’eau, le chant du rossignol ou les caquètements d’une poule, le vent dans la plaine, le lever du jour ou le bruit des vagues, ce sont mille et une pièces couvrant toute l’histoire de la musique qui viennent à notre esprit.

“La Musique est faite des bruits de la nature et des soupirs de l’âme” écrivait à juste titre Henri de Régnier. Les musiciens s'imprègnent des sons qui les entourent. Que ce soit du côté de la géophonie (les sons produits par le vent, l’eau, la pluie), de la biophonie (les sons produits par les organismes vivants comme les animaux) ou encore de l’antrophonie (les sons produits par l’activité humaine), notre terre est une source sans fin d'inspiration.

Sans fin ? Aujourd'hui, avec la disparition d’un grand nombre d’animaux, oiseaux et autres insectes, notre paysage sonore s’appauvrit. Moins d’espèces animales, moins de pluie ou de neige et c’est notre environnement sonore qui perd de sa richesse, de sa diversité, et qui s'uniformise.

La compositrice Gabriella Smith © gabriellasmith.com

Olivier Messiaen aurait-il pu aujourd’hui composer son Catalogue d’Oiseaux ? Certainement pas tel qu’on le connaît, le traquet rieur (l'avant-dernier oiseau mis en musique dans son cycle) ayant totalement disparu en France depuis 1996. La baisse du paysage sonore peut-elle engendrer une baisse de la richesse musicale ? Que se passera-t-il quand il n’y aura plus de jardin sous la pluie ou que le coucou ne chantera plus ?  Ces deux questions nous mènent à une nouvelle interrogation : la musique peut-elle contribuer à préserver la biodiversité ? Depuis quelques années, le label Shika Shika s’associe à des musiciens afin de sensibiliser les populations à la disparition des oiseaux. Après un disque consacré aux oiseaux d'Amérique du Sud, un deuxième dédié à ceux du Mexique, d’Amérique centrale des Caraïbes, un nouveau volume construit autour des chants d’oiseaux d’Afrique de l’Ouest a été édité cet été (les bénéfices de l'album vont à des projets de conservation de la biodiversité sur le continent africain).

La jeune compositrice américaine Gabriella Smith a quant à elle écrit un Requiem dont les paroles traditionnelles ont été remplacées par les noms latins de toutes les espèces disparues depuis un siècle. Des projets qui trouvent leur public… depuis longtemps ! Vous avez peut-être chez vous un exemplaire du Chant des Baleines. Sorti en France en 1978, il est l’un des albums de style environnemental les plus vendus de l'histoire.

Espérons que la musique ne fasse pas qu’un travail de conservation ; qu’elle ne devienne pas seulement “antrophonique” mais que l’on puisse encore chanter l’herbe tendre, suivre le vol d’un bourdon ou des chemins de randonnée alpestres. Car sans la richesse sonore du monde qui nous entoure, la musique que nous connaissons n’aura sûrement plus la même poésie.

Emilie Munera


Photo © gabriellasmith.com

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