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Carmen à l’Opéra de Marseille – Amour à mort – Compte rendu

 

On le sait, relire Carmen au XXIe siècle est un exercice intéressant. A la lumière des bouleversements sociétaux depuis l’émergence du féminisme jusqu’à #metoo, le profil de la cigarière est passé de prostituée à femme libérée qui croque la vie. Et les critiques assassines du XIXsiècle, qui fustigeaient le chaud comportement de Carmen sur scène, et décrétaient qu’il fallait « la revêtir d’une camisole de force après lui avoir jeté un seau d’eau froide sur la tête (!) » se sont apaisées et se sont presque retournées contre un Don José, archétype du macho, aussi mièvre que violent et jaloux, dont le seul véritable amour exprimé avec passion semble être celui qu’il porte à sa mère… Œdipe es-tu là ?
 

Héloïse Mas (Carmen) © Christian Dresse

Bref, il y a toujours du grain à moudre pour qui veut s’attaquer à l’ouvrage d’autant plus que Bizet, totalement séduit par les caractères des personnages du roman de Prosper Mérimée, s’est attaché à composer une partition de grande intensité dramatique et d’une puissance affirmée. Quant à Tchaïkovski qui prédisait que Carmen deviendrait « l’opéra le plus populaire dans le monde entier » force est de reconnaître qu’en son temps il avait été visionnaire. Pour preuve l’Opéra de Marseille qui affiche complet pour les cinq dates programmées en ce mois de février, onze ans après la dernière prestation in loco de la « carmencita » qui, cette année-là, avait les traits et la voix de Giuseppina Piunti, dans une mise en scène de Nicolas Joël.

Pour ces représentations marseillaises, initialement prévues en 2020, c’est la mise en scène de Jean-Louis Grinda, déjà donnée à Monte-Carlo et à Toulouse, qui était de sortie avant de retrouver, vraisemblablement retravaillée, les Chorégies d’Orange l’été prochain. Jean-Louis Grinda a le bon goût d’éviter l’accumulation d’espagnolades et autres robes sévillanes ; les costumes de Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace installent parfaitement l’action dans son siècle, le XIXe. Mur de briques et grand panneaux concaves déplacés à vue créent les espaces de l’action. Et la projection d’une affiche de corrida puis d’une faena alors que Carmen va succomber, poignardée par Don José, ne sont pas des plus déplaisantes.
 

Jean-François Borras ( Don José) & Alexandra Marcellier (Micaëla) © Christian Dresse 
 
Tout commence ici par le drame. C’est à l’ouverture que le militaire tue la cigarière ; début du flash back. Pour cette première représentation marseillaise, on attendait Amadi Lagha en Don José. Las, le ténor a déclaré forfait pour cette représentation et c’est Jean-François Borras qui l’a remplacé. Avec d’autant plus de facilité qu’il connaissait la mise en scène pour l’avoir pratiquée à Toulouse et qu’il possède le rôle, à la nuance près, depuis des années. Il sera, d’ailleurs, Don José à Orange en juillet. Pour son unique représentation marseillaise, Borras puissant, voix bien projetée, phrasé soigné, livre une prestation presque idéale. Du militaire jaloux il offre une incarnation crédible et ses qualités vocales devraient lui permettre de briller devant le mur du théâtre antique vauclusien.

Face à lui, la Carmen d’Héloïse Mas paraît presque trop sage. Séduisante en diable, son chant distingué et ciselé gagnerait à être un peu plus fougueux et engagé pour servir mieux le rôle de femme libre et aimante à sa guise. Mais il est vrai que pour Jean-Louis Grinda, loin de « la femme fatale, garce et manipulatrice », elle est « une jeune fille bien qui revendique sa liberté et tombe amoureuse comme elle respire ». Ceci pouvant expliquer cela ! Quoiqu’il en soit elle succombera sous les coups de navaja de José tandis que son nouvel amant estoque le toro dans les arènes.
 

Jean François Lapointe (Escamillo) © Christian Dresse
 
La seule qui soit transie d’amour unique, c’est Micaëla qui ne rêve que d’un baiser de Don José. A la scène, la gamine est souvent discrète, voire effacée, comme subjuguée et terrassée par la personnalité de Carmen. Ici, la Micaëla d’Alexandra Marcellier affirme une présence plus appuyée certainement liée à une tessiture où les graves sont marqués. Sa ligne de chant est superbe et son air du 3acte « Je dis que rien ne m’épouvante », tout en nuances et en délicatesse, du pur bonheur. Quant à l’Escamillo de Jean-François Lapointe nous l’avions entendu plus fringuant – affecté par un rhume passager ? Du côté des comprimari, l’homogénéité dans la qualité préside à la distribution avec un coup de cœur pour la Mercédès de Marie Kalinine, beau mezzo assuré, diction élégante et belle projection. Un mot, aussi, pour la danseuse Irene Rodriguez Olvera qui interprète les chorégraphies d’Eugénie Andrin élégantes, jamais surchargées, offrent un atout supplémentaire à la production.
 
Victorien Vanoosten © Yan Revasov

Le chœur de l’Opéra et les enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône brillent aussi sur le plateau et l’orchestre, chaud et coloré, aux cordes somptueuses, est dirigé avec ferveur par Victorien Vanoosten qui reprend rapidement, de-ci de-là, quelques légers décalages plateau-fosse qui ne portent pas préjudice à la tenue de l’ensemble. Au bout du compte, beau succès pratiquement au milieu de la nuit. Pouvait-il en être autrement ?

 
Michel Egéa
 

Bizet : Carmen -  Marseille, Opéra, 16 février ; prochaines représentations les 18, 21, 23 et 26 février 2023. (La représentation du 26 février sera dirigée par Clélia Cafiero). opera.marseille.fr/programmation/opera/carmen-0
  
Photo Héloïse Mas (Carmen) & Jean-François Borras (Don José) © Christian Dresse

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