Journal

​Carmen à l’Opéra Bastille – Vertiges de l’amour – Compte-rendu

 
 
La réussite d’un spectacle tient à peu de chose : à l’alchimie, à l’osmose, à l’adéquation entre fosse et plateau et à celle plus rare encore qui se joue entre les artistes et que le public reçoit comme un cadeau. La Carmen « de » Calixto Bieito, entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, est devenue en quelques années un classique que l’on se plaît à revoir au gré de distributions plus ou moins attractives.

Ils débutent chacun dans leur rôle sur la scène de la Bastille, n’ont jamais chanté ensemble et pourtant Gaëlle Arquez et Michael Spyres forment un couple Carmen/Don José électrisant. Difficile de ne pas succomber à cette belle plante que tous les hommes rêvent de conquérir, d’autant plus désirable qu’elle ne se donne que quand elle l’a décidé. Séduisante en diable, la cigarière de Gaëlle Arquez est avant tout libre de choisir, d’aguicher ou de repousser, d’aimer ou de se détourner, avec une sobriété, une simplicité et une détermination qui rendent crédible chacune de ses décisions. Qu’elle chante l’amour ou convoque la mort, danse avec intensité, revendique la vie errante ou provoque le destin, elle reste fidèle à elle-même et à ses principes sans jamais se renier, bohémienne dans l’âme, d’une voix, claire, franche et admirablement conduite.
 

Gaëlle Arquez (Carmen) & Michael Spyres (Don José) © Guergana Damianova - OnP

Mélange de douceur, avec cet instrument en apparence léger mais bien plus résistant que d’autres et de violence sourde, le Don José de Michael Spyres constitue un cocktail explosif. D’abord doux et tendre, il ne résiste pas à l’attraction de cette femme, avant d’exprimer son malaise et sa déception avec une rare agressivité. L’histoire de la « Fleur » racontée avec sensibilité et fragilité, sur un fil de voix, n’est plus qu’un lointain souvenir quand le soldat jaloux comprend qu’il n’est plus aimé et manque à chaque instant de sauter à la gorge de quiconque le contredit. Les voir une dernière fois s’affronter sur cette scène vide et désolée est un sommet de théâtre, qui scelle une magnifique rencontre entre deux grands interprètes au jeu aiguisé et aux voix d’une rare expressivité. De loin les meilleurs protagonistes applaudis depuis 2017.

Dans un excellent français, Golda Schultz défend une Micaela à la ligne gracieuse, Lucas Meacham, macho mais pas trop, s’accommodant haut la main de la tessiture d’Escamillo. Andrea Cueva Molnar (Frasquita) et Adèle Charvet (Mercédès) ne trouvent pas réellement leurs marques à la différence du Zuniga d’Alejandro Balinas Vietes, du Dancaïre de Marc Labonette et du Remendado de Loïc Felix, tous trois très à l’aise comme l’ensemble des choristes.
 

Fabien Gabel © Stéphane Bourgeois

Pour ses débuts in loco, Fabien Gabel décortique sans relâche la partition pour trouver les accents et les sonorités les plus adaptés à cette lecture au scalpel qui bannit tous les clichés. Tout dans cette Espagne contemporaine, écrasée de soleil, sent le soufre, les désirs refoulés ou exacerbés de chaque clan, celui de l’armée comme celui des contrebandiers, ne se justifiant que par l’irrépressible besoin d’accéder par tous les moyens à une vie meilleure.
 
Francois Lesueur

 

Bizet : Carmen – Paris, Opéra Bastille, 18 novembre ;prochaines représentations les 21, 24, 27, 30 novembre & 3 décembre 2022 / 28, 31 janvier, 3, 9, 12, 15, 22 & 25 février 2023 // bit.ly/3tMg6BD
 
Photo © Guergana Damianova

Partager par emailImprimer

Derniers articles