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Cantates de bistrot : vu(es) du comptoir

Mettre en musique un florilège de "Brèves de comptoir" tirées du célèbre ouvrage de Jean-Marie Gourio ? L'entreprise n'allait pas sans risque, mais avec un compositeur amoureux des mots tels que Vincent Bouchot elle se solde par une complète réussite ! Dans ses Cantates de bistrot, l'auteur de la Guerre des voyelles et des consonnes a su assembler et mettre en valeur de petites perles d'un quotidien que l'on dit banal, de purs trésors du lieu commun. Jamais rien de trop dans la partition du jeune compositeur (l'accompagnement instrumental, plus que réduit, se limite à un piano, un violon, un violoncelle), mais toujours la couleur idéale, le rythme approprié pour souligner la gouaille, l'humour, l'ironie dont les mots sont porteurs, pour dire l'amertume, les doutes, l'angoisse des êtres aussi - ceci avec une intensité qui nous place au bord du vertige parfois (dans la seconde partie surtout).

Metteur en scène des Cantates de bistrot, Mireille Larroche a su percevoir et restituer toute la substance de l'œuvre. Et la rendre d'autant plus palpable pour l'auditeur que celui-ci se trouve véritablement intégré au spectacle - le public se répartit en effet de chaque côté d'un long zinc qui divise la presque totalité de la salle (il est d'ailleurs possible de se rendre au comptoir à l'entracte pour déguster un verre !).

"Dans la cafés ça se passe exactement comme dehors" : on pourrait placer cette brève un exergue d'un spectacle qui, sous des dehors légers, anecdotiques, reflète toute la poésie, la richesse d'un quotidien qu'il faut savoir regarder et entendre. Quelle extraordinaire galeries de portraits que ces Cantates ! Sous l'œil du patron M. Picot - qui "a renoncé à avoir un avis, du coup personne l'emm…." , fabuleusement campé par Paul-Alexandre Dubois, Christophe Crapez (jonglant d'un rôle à l'autre avec une facilité déconcertante), Edwige Bourdy (splendide dans la scène du téléphone - clin d'œil la Voix humaine de Cocteau/Poulenc), Chantal Galiana, Françoise Masset campent une foison de personnages.

De l'éternel chômeur au handicapé en fauteuil roulant, de la grande bourgeoise terminant une journée de shopping et qu'une camionnette empêche de quitter son stationnement à la voisine de quartier, éternelle dépressive, attendant ses biscottes beurrées, on trouve de tout dans le bistrot des Cantates. Tous les sujets y sont abordés, de la sexualité d'une charmante perruche gabonaise au poitrail vert à celle des employées de charcuterie ou des stewards, des mérites de Chirac ou Jospin à la subtile distinction entre le petit, le minuscule et le microscopique (à l'origine d'une scène totalement ubuesque et désopilante, où notre très sympathique perruche a pris l'initiative d'ajouter un grain de sel "vocal" aussi inattendu que bienvenu !).

Mais impossible de raconter, de décrire un ouvrage, une mise en scène où tout repose sur des détails infimes, où les regards, les non-dit comptent tant… Le bistrot est lieu de rencontres inattendues, carrefour de solitude(s), on y boit, on y refait le monde, on y gratte des Bingo en rêvant d'une existence autre… Dire la banalité du quotidien pour mieux en dégager la poésie : on imagine le monument d'ennui qu'une certaine création contemporaine aurait pu nous infliger ici… Vincent Bouchot et Mireille Larroche se situent par chance ailleurs.

Cocteau disait avoir voulu "peindre plus vrai que le vrai" dans ses Mariés de la Tour Eiffel. Les auteurs et les protagonistes des Cantates de bistrot se contentent d'être vrai et c'est pourquoi, du fou rire à l'émotion, ils nous touchent tant. Courrez d'urgence découvrir l'un des spectacles musicaux les plus réussis de la saison !

Alain Cochard

Cantates de bistrot. La Péniche Opéra, le 8 avril. Jusqu’au 31 mai. 46, quai de la Loire (Métro Jaurès). Les jeudis, vendredis et samedis à 20 h 30. Jusqu'au 27 mai (sauf les 28, 29 30 avril et 5, 7 et 7 mai). Du 28 au 31 mai à Aulnay-sous-Bois.

Photo: DR
 

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