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Candide de Bernstein selon Daniel Fish à l’Opéra de Lyon – Le moins meilleur des mondes possibles – Compte-rendu

 
Alors que des voix prophétisent une réduction drastique des budgets des théâtres à l’horizon 2023-24, qui entraînera forcément une révision à la baisse des saisons programmées, il faut sans doute remercier l’Opéra de Lyon de nous préparer aux années de vaches maigres qui nous attendent.
Avec ce Candide de fin d’année, sans aucun décor – le plateau apparaît dans toute sa noire nudité, à peine meublé d’une cinquantaine de chaises, d’une étrange barre lumineuse qui rampe au sol et d’une sphère en plastique transparent – et dont les costumes ont pu être grappillés ici et là dans les dépôts-ventes de la ville. Daniel Fish s’est fait remarquer outre-Atlantique par une mise en scène assez sobre d’Oklahoma, de Rodgers et Hammerstein ; cette fois, il pousse l’austérité beaucoup plus loin, un canon à mousse assurant l’unique effet spectaculaire de la soirée. Il y a bien une équipe de danseurs, mais leur chorégraphie se borne la plupart du temps à marcher d’un bout à l’autre de la scène selon des trajectoires énigmatiques, quand ils ne sont pas eux-mêmes assis, comme le chœur souvent.
 

© Stofleth

Il ne passe donc pas grand-chose à quoi l’intérêt du spectateur pourrait se raccrocher, d’autant que monsieur Fish a pris soin de supprimer tous les dialogues relatant les mésaventures du héros de Voltaire : grand honneur que l’on accorde ici à la partition de Leonard Bernstein, puisqu’on la mutile de son livret tout comme d’autre l’ont fait pour La Flûte enchantée, par exemple. On parle cependant encore un peu, mais le narrateur se contente de pontifier dans un micro, débitant des formules aussi creuses que pseudo-philosophiques. Adieu, cynisme grinçant, adieu, second degré, adieu satire politique et religieuse. Ne reste plus qu’une enfilade de morceaux chantés dont on comprend mal l’enchaînement, et ce qui aurait dû être une réjouissante soirée se transforme inévitablement en pensum.
 

© Stofleth
 
C’est d’autant plus regrettable que, musicalement, l’oreille est à la fête. Dans la fosse, Wayne Marshall est à son affaire et dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon en fin connaisseur de cette musique. Les chœurs sont superbes et méritent amplement d’ouvrir et de conclure le spectacle (puisque, naturellement, l’interrogation ironique de Pangloss, « Any questions ? », a ici été supprimée). Et la distribution a aussi été soignée, dans un style très opératique, avec des voix habituées à servir un répertoire vocalement plus lourd que celui de la comédie musicale. Alors que tout le début de la représentation se déroule dans un silence pesant, la prestation de Sharleen Joynt parvient à dégeler le public, qui applaudit chaleureusement son « Glitter and Be Gay » : la soprano y déploie des ressources impressionnantes, et ajoute même des ornements à ce que prévoit la partition, traitant son air un peu comme celui d’Olympia, qu’on a désormais coutume d’entendre avec de nombreuses variations dans son deuxième couplet. Après elle, Tichina Vaughn obtient sa part d’acclamations méritées, alors même que « I Am Easily Assimilated » peine à faire sourire dans le contexte de la grisaille scénique.

Wayne Marshall © Charlie Best

Après l’entracte, Peter Hoare a une nature comique telle qu’elle triomphe de la morosité imposée par le concept. Maximilien, rôle souvent sacrifié, trouve en Sean Michael Plumb un interprète sonore, et l’on remarque parmi les personnages secondaires l’intervention percutante de Paweł Trojak. Doté de moyens somptueux, Derek Walton a presque une trop grande voix pour Pangloss, que la tradition confie d’habitude à un acteur capable d’assurer le rôle du récitant. Benjamin Appleby, enfin, est un très beau Candide, touchant et sensible. Mais quel dommage que tous ces artistes aient été réunis pour le « moins meilleur » des spectacles possibles…

 
Laurent Bury

 Leonard Bernstein : Candide – Lyon, Opéra, 20 décembre ;  prochaines représentations, les 22, 26, 28, 30 décembre 2022 & 1er janvier 2023 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2022-2023/opera/candide
 
© Stofleth

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