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​Bertrand Chamayou joue les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus au Théâtre des Champs-Elysées – Voyage au bout d’un rêve – Compte-rendu

 
Bertrand Chamayou l’a confié il y peu : le rêve de pouvoir un jour donner les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus au théâtre des Champs-Elysées lui était venu à l’esprit il y a bien des années alors que, invité par le Festival Piano aux Jacobins, le jeune toulousain donnait son tout premier récital sur la scène de l’avenue Montaigne. L’ouvrage d’Olivier Messiaen a joué un rôle central dans la formation et le développement de l'artiste. La relation étroite qu’il entretient par ailleurs avec la musique de Liszt –  les Années de pèlerinage en particulier – et celle de Ravel, l’a mis en contact avec une part essentielle de la généalogie d’un chef-d’œuvre où quantité d’influences sont admirablement synthétisées.

Bertrand Chamayou vient de réaliser son rêve. Défi pianistique colossal certes que d’affronter ces près de deux heures de musique en public, mais pas plus que dans les Années ou l’intégrale Ravel, l’attitude du musicien, son rapport au clavier, ne relèvent justement du défi, d’une lutte contre la difficulté technique, d’une performance. Il a les Regards en lui depuis tellement longtemps, les possède, les entend de manière si totale que tout va de soi, tout coule de source et embarque l’auditeur dans un formidable voyage ; « une odyssée » pour reprendre la mot de l’interprète.
 
Regard de l’Eprit de joie, Première communion de la Vierge : l’enchaînement de ces deux numéros (X & XI) au cœur de la partition pourrait résumer les qualités de l’approche. L’élan virtuose de la première pièce n’est jamais en quoi que ce soit dévoyé par une quelconque extériorité ; de la première à la dernière mesure, le geste procède d’une profonde nécessité intérieure. Sur un registre bien différent, la Première communion vise tout aussi juste, fuyant le doucereux dans lequel peuvent aisément verser certains moments des Regards au profit d’une fine et prégnante poésie.
Du Regard du Père au Regard de l’Eglise d’amour, on aurait envie de s’attarder sur chacun des vingt épisodes pour dire la richesse infinie de ce piano-orchestre capable de myriades de couleurs, sur la variété des attaques, la puissance et la densité des crescendos, la stupéfiante maîtrise rythmique (formidable Par Lui tout a été fait ! ) d’un interprète qui déploie les Regards avec autant d’intelligence que d’émerveillement. Peine perdue, le voyage auquel nous conviait Chamayou est de ceux qu’y s’éprouvent : à en juger par l’accueil débordant d’enthousiasme d’une salle debout, il promet de rester longtemps gravé dans les mémoires.
 
Le pianiste n’en a pas fini avec Messiaen en cette année des trente ans de la disparition du compositeur. On aura l’occasion de le réentendre dans les Regards à diverses reprises (Festival Messiaen de la Meije, Festival du Comminges, Roque d’Anthéron, Festival Ravel, etc.) et il s’emparera de la Turangalîla-Symphonie avec l’Orchestre de Paris au Festival d’Aix-en-Provence le 14 juillet prochain. Avec Esa-Pekka Salonen à la baguette un grand moment s'annonce ! 
 

Alain Cochard
 

 Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 15 juin 2022

Photo © Marco Borggreve

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