« […] Terminé en atelier dès 2004 (d’où la date d'opus inscrite sur le buffet), [il] n’est installé dans l’église qu’en février 2005 » : longtemps muet et de nouveau fonctionnel depuis un an exactement, au terme d’importants travaux de restauration de l’édifice, l’orgue Bernard Aubertin fête donc ses vingt ans en cette saison 2024-2025, lancée le 13 octobre par son titulaire : Benjamin Alard (1) et organisée par l'AGOSLI, Association des Grandes Orgues de Saint-Louis-en-l'Île. Neuf concerts, dont six du titulaire consacrés aux trois cycles de Six Sonates de JS Bach, CPE Bach et Mendelssohn, à raison d’une de chaque compositeur lors de chaque concert. La saison s’est magnifiquement refermée le dimanche de Pentecôte.
 
Souffle et vivacité
 
Imposant et rehaussé d’effets de surprise propres à ce maître de l'inattendu, le Preludio per il Organo a 2 Tastature et Pedale de Carl Philip Emanuel Bach tenait lieu d’exorde à la Sonate en trio n°6 de Bach père. Benjamin Alard a enregistré les Six Sonates à l’orgue Aubertin en 2008, album repris en 2020 (Collection Alpha 71) : un juste milieu entre ampleur du souffle et vivacité d’un jeu rayonnant, servi par une palette optimale, mise en œuvre de même, dans la diversité. Le Vivace initial recréa en concert l’enchantement de la gravure, Benjamin Alard insufflant au sublime Lento porté par d’envoûtants jeux de fonds une souveraine maîtrise de l’écoulement du temps, idéalement pondéré – et hors du temps. Contraste ébouriffant avec l’Allegro final sur un tempo particulièrement audacieux et des mutations stimulant l’écoute, cependant que la prise de risque confirmait à quel point l’aventure du concert est irremplaçable.

 

 
Palette multiple
 
La Sonate n°3 de CPE Bach redit la grandeur du digne fils de son père. L’éloquence ciselée, suprêmement articulée et inventive du clavier de CPE, de ses multiples bifurcations, suspensions et interrogations découlant une intense dramaturgie, dépasse ô combien le style galant, le tout indissociable d’une structure rigoureusement pensée et conduite. Le choix des couleurs évoquait un cabinet d’orgue baroque d’une vive acuité, sans renoncer à l’assise majestueuse de l’Aubertin, lui aussi en très grande forme. Mendelssohn offrit à l’auditoire un autre aspect de sa palette multiple, de prime abord sombre, puis lyrique, avant de conclure sur un ensemble formidablement sonore et savamment élaboré de fonds avec anches et mutations, sans mixtures scintillantes.
 Cerise sur le gâteau de la saison qui s’achève : Benjamin Alard fêtera en concert, le 23 juin, à la fois les vingt ans de l’orgue Aubertin et ses « Vingt ans déjà ! » de titulariat : J.S. Bach, Pablo Bruna, F. Couperin et Rameau transcrits par l’interprète, Saint-Saëns, Messiaen … !
 
En attendant la suite
 
Confortée par l’indéniable succès public de la saison 2024-2025, une suite est d’ores et déjà annoncée. De nouveau neuf concerts, chaque deuxième dimanche du mois à 12h30, dont cinq de Benjamin Alard (Bach à l’italienne) et quatre de ses invités : Jean-Luc Ho en ouverture de saison, le 12 octobre 2025, Valentin Rouget, Paul Goussot, enfin François Ménissier pour refermer cette seconde édition, le 14 juin 2026.
 
Vient dans le même temps de paraître chez Harmonia Mundi le Vol. X de l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Bach, avec de nouveau les Sonates en trio, mais au clavecin et au clavicorde avec pédalier : une absolue merveille dont la plus que poétique et sensible proximité renouvelle l’écoute en profondeur.
 
Michel Roubinet