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Bella Schütz en récital au Petit Palais – Une clarté passionnée – Compte-rendu

 
Récital, musique de chambre, orchestre : jusqu’à la double barre de la dernière œuvre inscrite au programme, le concert demeure une aventure ; rien n’est jamais gagné d’avance. Reste que certains interprètes, plus que d’autres, font d’emblée ressentir que l’affaire est bien engagée. Telle est l’impression – fondée ! – que procure l’attaque de la Fantaisie chromatique et fugue de Bach par Bella Schütz, pianiste de bientôt 20 ans invitée dans le cadre des concerts de midi de Jeunes Talents à l’auditorium du Petit Palais – l’artiste est passée par la classe de Jacques Rouvier au Mozarteum de Salzbourg et parachève présentement sa formation à Berlin (avec Björn Lehmann) et à Vienne (auprès de Jan Jiracek von Arnim).
Elle trouve le juste mélange de souple autorité et de liberté pour déployer la fantaisie, avec de beaux pleins et déliés, avant de se lancer dans une fugue d'une clarté passionnée, qui s’accommode on ne peut mieux de la personnalité du superbe Steinway historique (de 1897) dont elle dispose
 

© bellaschutz.com

Intitulé « In modo romantico », le récital de la Française réunit deux ouvrages riches de pressentiments « romantiques », le BWV 903 donc et la 30e Sonate de Beethoven, suivis de deux partitions pleinement inscrites dans le romantisme musical : le Nocturne op. 62 n° 1 de Chopin et la 2e Sonate de Schumann.
Simplicité et hauteur de vue : l’Opus 109 de Bella Schütz montre l’aisance avec laquelle elle se meut dans l’univers du dernier Beethoven, pour traduire son lyrisme sans le surcharger d’intentions (Adagio espressivo), pour libérer sa virile énergie d’une sonorité dense, jamais dure. Et dans le finale, avec quelle évidence parvient-elle, au fil de la transformation du thème, à faire ressentir physiquement le processus, non pas d’éclatement – ce n’est pas le dessein de Beethoven – mais de dilatation de la forme (la 5variation !) que le compositeur-expérimentateur accomplit dans le laboratoire de la sonate pour piano.
 
Nocturne en si majeur op. 62 n°1 : un monde sonore totalement nouveau s’épanouit désormais. Le jeu de Bella Schütz sait capter les vapeurs harmoniques de la partition et, plus étonnant encore de la part d’une si jeune interprète, saisir avec tact et pudeur l’arrière-plan amer et désolé qui rend si émouvante cette pièce géniale, écrite durant l’été 1846 – le tout dernier du Polonais à Nohant.
A Schumann revient le mot de la fin avec le torrent de passion de la 2e Sonate sol mineur. « Aussi vite que possible » réclame le premier épisode : l’exigence technique, pas moins redoutable dans le finale, est totalement assumée. Reste que l’enjeu est ailleurs, parfaitement saisi par une interprète qui parvient à libérer le tumulte intérieur, dévorant, du compositeur - et à le dompter ! L’Opus 22 peut aisément virer au grand bazar sonore : rien à craindre ici ; l’urgence bien comprise, la longueur de souffle, la pédalisation remarquable, le sens des voix médianes (qui ne fait pas moins merveille dans un Andantino plein de secrets) de Bella Schütz montrent que l’on a affaire à une musicienne de tout premier ordre. Chopin tiré du Carnaval de Schumann en bis.
A suivre de très près donc, vous l’aurez compris. Notez que la pianiste se produira à nouveau à Paris dans quelques jours (le 10 février) à l’auditorium du Collège La Tour.
 
Alain Cochard
 

 
Paris, Petit Palais, 12 janvier 2023 // bellaschutz.com/concerts/
 
Photo © bellaschutz.com

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