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Béatrice et Bénédict au Festival Berlioz – Palpitante restitution musicale - Compte-rendu

L’ouverture du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André a misé assez fort, avec le dernier ouvrage lyrique de Berlioz : Béatrice et Bénédict. C’est même la toute première fois que ce festival, né il y a exactement vingt ans, s’attaque à l’un des opéras du compositeur originaire de la bourgade. L’ambition n’était pas démesurée, et la restitution musicale s’en est révélée parfaitement digne, au-delà de toutes réserves. Celles-ci émaneraient plutôt du côté des choix qui ont présidé à la soirée. Explications.

Il semblerait, selon diverses petites sources, qu’il ait été d’abord envisagé une version de concert, ensuite pourvue d’une mise en espace. Idée en soi judicieuse, d’autant que Lilo Baur (dont on avait déjà pu apprécier le travail pour La Resurrezione à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris en 2012) s’acquitte avec un certain brio des mouvements tournoyants de la petite foule chorale, entre un arrière-plan de fond de scène, une passerelle centrale et une avant-scène découpant un orchestre à même le plateau. Mais devant la difficulté de dernière minute d’imposer aux chanteurs, sans l’aide d’un pupitre, tout à la fois leur partie musicale et leurs dialogues parlés (consubstantiels à cet opéra-comique), il a été opté pour une solution bâtarde, sinon impossible : remplacer lesdits dialogues par un texte apocryphe de liaison, aussi lourd qu’empêtré, mal dit par un récitant. L’ouvrage en ressort définitivement défiguré. Imagine-t-on un seul instant pareil traitement pour Carmen ! De surcroît, ce texte importun heurte la structure même de l’œuvre et son esprit : emplissant de bavardages des moments qui en sont dépourvus, comme entre l’ouverture et le chœur d’entrée, ou après le chœur bouffe au début du second acte, en principe directement (et génialement) enchaîné à l’introduction haletante de l’air de Béatrice qui suit. Bref, un petit désastre… À tel point, d’après un rapide sondage, que bien des spectateurs ne saisissaient guère plus rien des soubresauts de ce pétulant marivaudage inspiré du Much ado about nothing de Shakespeare.

Dommage ! Car musicalement, le miracle s’est accompli. Le Jeune Orchestre Européen Hector-Berlioz reste toujours le plus bel acquis de ce festival. On sait qu’il réunit, sur la base de l’Orchestre Les Siècles, de jeunes instrumentistes issus de différents conservatoires de France et d’ailleurs, qui s’essayent en formation d’ensemble mais aussi, et surtout, au style d’époque sous l’égide de François-Xavier Roth. L’ouverture virevoltante du petit opéra-comique surgit ainsi encore incertaine et verte – normal ! pour de juvéniles musiciens, serait-on tenté de croire. Mais, très vite ensuite, la verve s’impose, pour ne plus se relâcher. Dans ce jeu poussé à son extrême, d’effleurements insaisissables, de virtuosités gauchies, de sonorités fuyantes, qui font le sel inimitable de Béatrice, les instruments, souvent individualisés et à découvert, s’emportent ou s’épanchent avec une aisance confondante. “ Cette partition est difficile à bien exécuter ”, reconnaît lui-même Berlioz. Le chef, pourtant, ne ménage pas ses troupes : dans des tempos vifs, mais sans rubato déplacé, des mises en valeur de pupitres comme autant de solistes. Bravo ! à Roth et à son valeureux orchestre qui s’affirme une magnifique réussite, le clou incontestable, édition après édition, de ce festival.

Le plateau vocal, constitué pour la plupart également de jeunes et talentueux interprètes, n’appelle lui aussi que des éloges. Isabelle Druet (Béatrice), Jean-François Borras (Bénédict), Marion Tassou (Héro), Aude Extrémo (Ursule), Philippe Ermelier (Somarone), Thomas Dolié (Claudio) et Luc Bertin-Hugault (Don Pedro) délivrent l’assurance et un bagout de circonstance, dans une volubilité pourtant ici aussi soumise à dure épreuve. Les bribes restantes de dialogues parlés qui leur sont octroyées, vers la toute fin et pour le rôle de Somarone, prouveraient à l’envi, par leur acuité en situation, combien il était inutile et absurde de les en dispenser ! Les chœurs, Chœur Britten et Jeune Chœur Symphonique, se révèlent tout autant en phase. Le Béatrice et Bénédict embourbé de l’Opéra-Comique, en février 2010, ne saurait se comparer, lointain et mauvais souvenir désormais effacé.

Pierre-René Serna

Berlioz : Béatrice et Bénédict (version de concert, mise en espace), La Côte-Saint-André - Festival Berlioz, 23 août 2013

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Photo : © Gérard Gay-Perret

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