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​Ariane à Naxos selon Michel Fau à l'Opéra de Montpellier – En même temps… - compte rendu

 
Ce dimanche 10 avril, la représentation montpelliéraine d’Ariane à Naxos s’est terminée à huit heures précises, afin que le public puisse assister non au feu d’artifice offert par l’homme le plus riche de Vienne, mais à la soirée électorale du premier tour, confirmant le bien-fondé de mêler le comique et le tragique pour terminer plus tôt.
Créée à Toulouse il y a quelques années, la production de Michel Fau (dont la reprise est assurée par Tristan Gouaillier) propose elle aussi un mélange d’esthétiques parfois inattendu. Le prologue fait du Majordome une sorte de marionnette qui ne quitte jamais le niveau supérieur du décor, c’est-à-dire le théâtre, tandis que les autres protagonistes restent dans les dessous, et « en même temps » cette première partie évoquant l’affairement des coulisses est ici extrêmement stylisée, avec ses effets de lumière censés isoler certains personnages. Au réalisme qui transforme le Laquais en souffleur crasseux, cousin du Monsieur Taupe de Capriccio, répond l’artifice souligné de la métamorphose d’une jeune femme en compositeur masculin.
 
© Marc Ginot

Après l’entracte, nous sommes encore au XVIIIe siècle, et « en même temps » à l’époque de la création de l’œuvre, ou presque, puisqu’à la grotte en forme de gueule de monstre issue des jardins de Bomarzo se superposent des arbres dignes d’une toile Art Déco de Jean Dupas, les nymphes arborant des robes à panier revues par les Années Folles. L’identité visuelle de ce spectacle est donc assez frappante, et « en même temps », il ne s’en dégage peut-être pas toute l’émotion qu’on espérerait.
Le décor monumental du prologue ne laisse au jeu qu’un espace très réduit (Zerbinette a du mal à contourner les chaises qui l’encombrent), et « en même temps » le plateau paraît plus tard bien nu quand dialoguent Ariane et Bacchus. Une fois sur l’île déserte, les deux univers ne se rencontrent pas, chacun faisant son numéro isolément, lesdits « numéros » se réduisant à assez peu de choses, gestes tragiques convenus pour les héros sérieux, et effets comiques très limités pour les autres.
Dans la fosse, l’Orchestre national Montpellier Occitanie joue en formation réduite, comme l’a voulu Richard Strauss, et en même temps, les instrumentistes n’en sont pas moins formidablement sonores, la direction de Christian Arming imposant dès l’ouverture une interprétation robuste et incisive à la fois. Le tempo allant adopté pour l’entrée de Bacchus a peut-être pour effet de rendre moins éprouvante la tessiture du rôle, même si Robert Watson semble en surmonter sans trop de peine les difficultés, au moins en termes de puissance vocale.
 

© Marc Ginot

A ses côtés, Katherine Broderick a les moyens d’être une touchante Ariane, et aurait mérité une direction d’acteur se réfugiant moins dans les stéréotypes. En Zerbinette, Hila Fahima possède toutes les notes mais il lui manque le charme qui rendrait le personnage apte à séduire le public autant que le Komponist. Incarnant celui-ci, et remplaçant Karine Deshayes dont l’annulation était depuis longtemps connue, Hongni Wu nous rappelle que Strauss ne prévoyait pas une mezzo-soprano dans le rôle : le timbre est beau, le grave est riche, mais l’aigu n’est pas exempt de tensions.
 

© Marc Ginot

Si William Dazeley n’a plus tout à fait l’ampleur du Maître de musique, Manuel Nuñez-Camelino est un Maître à danser claironnant et virevoltant. Mikołaj Trąbka a l’insolente jeunesse d’Arlequin, et ses trois comparses lui donnent dignement la réplique. Si les trois voix des nymphes paraissent d’abord presque trop nettement caractérisées pour s’unir de façon fluide (la Dryade bénéficie rarement d’un timbre aussi opulent que celui de Julie Pasturaud), elles finissent par se concilier de manière harmonieuse. Et bien qu’il ne chante pas, il convient de saluer la formidable prestation de Florian Carove, irrésistible Majordome aux accents nasillards et dictatoriaux.

Laurent Bury

Richard Strauss : Ariadne auf Naxos - Montpellier, Opéra Comédie,10 avril ; prochaines représentations les mardi 12 et jeudi 14 avril 2022 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/ariane-a-naxos

Photo © Marc Ginot
 

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