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Ariane à Naxos en version de concert du Théâtre des Champs-Elysées – Et Ariane vint aux Champs – Compte-rendu

Strauss se prête finalement bien aux versions concertantes pourvu que la distribution mérite le détour. Et comme elle le mérite celle réunie par les directeurs du TCE et de l’Opéra de Munich !
 
Hiérarchiquement, Kirill Petrenko se doit d'être le premier mentionné tant sa présence à la tête du Bayerisches Staatsorchester nous a transporté. Dans ce répertoire délicat, truffé de références, qui oscille entre rire et larmes, tragédie et comédie, le chef russe sait comme personne insuffler à ses musiciens le rythme théâtral straussien, soutenir cette conversation musicale novatrice pendant le prologue, avant de plonger l'auditoire dans les divins méandres de l'opéra et d’opérer un retour à l'Antique aussi riche que surprenant.
Les transparences, les couleurs, les ornementations qui ponctuent la partition (la version de 1916 ici) paraissent suggérées alors qu'elles sont le reflet d'une pensée méticuleusement construite. Ainsi admire-t-on chaque détail de cette pièce d’orfèvrerie, travaillée avec subtilité qu'il s’agisse des transitions, des ensembles préparés au cordeau, jusqu'aux interventions raffinées des Nymphes, belles à couper le souffle.
 
Issus pour la plupart de la troupe de l'Opéra de Munich, les comprimari, qu'ils soient laquais, maître de ballet, perruquier ou majordome, par leur sens du timing, de la coloration et du verbe, hissent à des hauteurs inédites le niveau général : mention spéciale à l'Arlequin prometteur de Elliot Madore, ainsi qu'aux trois merveilleuses Eri Nakamaru, Okka von der Damerau et Anna Virovlansky (respectivement Naïade, Dryade et Echo).
 
Très en voix, Alice Coote incarne avec son habituelle franchise d'accent un Compositeur excédé, capable de soulever des montagnes pour faire respecter son idéal musical. Irrésistible, Brenda Rae interprète le rôle de Zerbinetta de manière superlative, ajoutant à la prouesse vocale une intense pénétration psychologique récompensée par un colossal succès personnel.
Après un galop d'essai réussi à Salzbourg en 2012 au côté d'Emilie Magee, Jonas Kaufmann retrouve ce Bacchus réputé impossible avec un souffle et une grandeur qui fascinent. L'écriture est sans doute trop haute pour lui, mais cela n'inquiète pas le ténor qui conserve malgré la tessiture, l'autorité et la fierté naturelle de son timbre au métal chaud, en contournant les difficultés à son avantage.
 
Suite à la défection d'Anja Harteros, qui devait aborder pour la première fois le rôle-titre auprès de son partenaire de prédilection, Amber Wagner (photo) a pu faire des débuts remarqués sur le sol français. Voix opulente et torrentielle, plus mezzo que soprano dans les premières phrases de son réveil, écrites il est vrai très graves, la cantatrice surprend par la liquidité de son émission, la richesse de ses phrasés et la liberté de son registre aigu qui, réchauffé par la grande scène « Ein schönes war », brille de tous ses feux lors du duo final, avançant tel un immense voilier sur une mer soyeuse, rassurée par le magnétisme d'un Bacchus hors norme.
 
François Lesueur
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Strauss : Ariane à Naxos (version de concert) – Paris, Théâtre des Champ-Elysées, 12 octobre 2015

Photo Amber Wagner © imgartists.com

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