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Ariane et Barbe-Bleue à l’Opéra de Lyon (Streaming) - Six mariages et pas d’enterrement – Compte-rendu

Après Strasbourg en 2015 et Toulouse en 2019, c’est au tour de l’Opéra de Lyon de proposer une nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue (où on n’avait plus revu ce titre depuis 1998), occasion de vérifier que l’unique opus scénique de Paul Dukas est décidément une partition extraordinaire, qui mériterait d’être à l’affiche aussi souvent que Pelléas et Mélisande, si les vertus théâtrales en étaient comparables à celles du chef-d’œuvre de Debussy, et si les exigences vocales n’en étaient pas infiniment plus élevées.
 

Lothar Koenigs © Groves Artists

A Lyon, l’orchestre brille de mille feux sous la baguette de Lothar Koenigs. Chose rare en ces temps d’instrumentistes distanciés qui se répandent généralement dans tout le parterre, l’orchestre semble tenir presque entièrement dans la fosse, à la seule exception d’un percussionniste côté cour et de quelques bois côté jardin. Quel dommage, vraiment, que Dukas ne soit pas parvenu à mettre plus souvent sa science de l’orchestration au service du genre lyrique : outre la fameuse évocation des différentes pierres précieuses correspondant aux six portes, au premier acte, tout le reste de l’œuvre se maintient à une constante hauteur d’inspiration, avec le même faste sonore judicieusement dosé. Et pour une fois, même si l’on n’adhère pas forcément à tous ses choix, la mise en scène d’Alex Ollé parvient à peu près à éviter les tunnels d’inaction qui sont trop souvent le lot des représentations d’Ariane et Barbe-Bleue.
 

© Mar Flores Flo

Après une vidéo montrant le trajet en voiture des nouveaux époux pendant le chœur des paysans, une fois arrivée au restaurant où doit avoir lieu la noce, la mariée part se repoudrer dans les toilettes, puis explore avec la nourrice un labyrinthe de tulle habilement éclairé, au fond duquel se rejouent les cinq mariages qui ont précédé celui d’Ariane. Après cela, le dédale se soulève et révèle la salle du banquet, avec ses diverses tables et ses très nombreux convives. Querellant son épouse pour sa désobéissance, Barbe-Bleue lève la main sur elle : stupeur générale, tous les hommes quittent la salle.
 Le deuxième acte s’ouvre avec les invitées mimant toutes les « violences faites aux femmes » dont elles ont été victimes, et formant un auditoire muet autour d’Ariane et des cinq précédentes épouses. L’escalade vers la lumière se fait en empilant les tables du festin, et ces dames libérées par Ariane dénouent leurs cheveux, leurs ceintures, et conspuent avec force bras et doigts d’honneur les mâles dominants qu’elles aperçoivent à l’extérieur.
 Au troisième acte, retour des messieurs, la lutte avec Barbe-Bleue qui se déroule normalement en coulisses ayant cette fois lieu sur le plateau. Quand on le leur livre capturé, ses épouses sont tentées de le violenter – on croit un moment qu’un enterrement va mettre fin à cette série de mariages – et, malgré leur refus de s’évader avec Ariane, elles laissent ligoté leur tortionnaire et contemplent le public (absent) jusqu’à ce que les lumières s’éteignent.
 

 © Mar Flores Flo

Le chœur de l’Opéra de Lyon est donc bien plus présent sur scène qu’on ne pouvait s’y attendre, et tient avec aplomb son double rôle musical et théâtral. Tomislav Lavoie chante bien le très peu que Barbe-Bleue doit chanter, et la vidéo initiale nous montre qu’il a même la pilosité vraiment teinte en bleu. De la distribution féminine, force est de dire d’abord qu’elle n’est hélas pas très intelligible en dehors des moments où l’orchestre joue piano ; Dukas y est évidemment un peu pour quelque chose, mais peut-être aurait-on pu davantage privilégier l’intelligibilité du texte, surtout avec une distribution quasi intégralement francophone.
Appelée à remplacer in extremis l’interprète du rôle-titre initialement prévue, Katarina Karnéus s’exprime dans un français très correct, et on ne saurait trop exiger en matière de diction quand la voix est déjà si sollicitée, les belles couleurs du timbre compensant le déficit de texte dans l’aigu forte. Anaïk Morel semble posséder exactement les graves de la nourrice, mais on ne comprend guère ce qu’elle chante lorsqu’elle ouvre chacune des portes et que l’orchestre s’en donne à cœur joie. On s’explique moins bien que les quatre précédentes épouses (la cinquième est un rôle muet) n’aient pas une articulation plus nette, leurs interventions ne relevant pas de la même prouesse vocale que le rôle d’Ariane : pourquoi mesdames Margot Genet, Adèle Charvet, Hélène Carpentier et Amandine Ammirati ne sont-elles pas plus intelligibles ? Espérons que les micros et les caméras pourront en partie remédier à ce problème.

Laurent Bury

Dukas : Ariane et Barbe-Bleue (dans le cadre du "Festival Femmes Libres ?") – Lyon, Opéra, Captation réalisée le 24 mars 2021, disponible en replay sur abonnement sur medicit.tv
 
Photo © Mar Flores Flo

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