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« Aria da Capo » (théâtre musical) au Théâtre de l’Athénée – Eternelle adolescence – Compte-rendu

 

On a beau avoir choisi la voie de la musique dite « classique », l’adolescence reste l’adolescence. Celle de Guilain, Areski, Victor et Adèle (respectivement bassoniste, violoniste, tromboniste, pianiste-chanteuse, tous élèves du Conservatoire d’Orléans), les protagonistes d’ «Aria da Capo», n’échappe aucunement à la règle. C’est ce que nous raconte et montre un spectacle inclassable, de prime abord déroutant, désordonné comme une chambre d’ado – en apparence seulement –, mais à la vérité continûment porté par les doutes, les interrogations, le tumulte intérieur propres à un âge bousculé par l’éveil du désir.
 

Guilain Desenclos © Alexandre Ah Kye
 
Rien ne change : Antoine Blondin évoquait ceux qui font « chanvre à part » ; nos ados musiciens ne font rien d’autre, sinon que les substances ont quelque peu évolué ... Mais là n’est pas l’objet principal d’«Aria da capo », thème et variations sur l’éternelle adolescence, que la musique et la condition d’étudiant musicien donnent à ressentir de manière encore plus vive au cours d’une soirée d’un seul tenant (1h45, que l’on ne voit pas passer) qui nous plonge dans le monde clos, et souvent enfumé, de quatre ados s'exprimant en toute liberté.
 
Auteurs du texte, Guilain Desenclos (photo à g.), Adèle Joulin, Areski Moreira(photo à dr.) et Victor Gadin jouent leurs propres rôles, avec leurs mots, souvent très crus, et des images parfois incongrues. Un rapprochement entre l’idée d’un kebab à 4h du matin et la musique d’Olivier Messiaen, ou entre la conquête d’un corps féminin, la sauce paprika et le début du fugato de la Sonate de Liszt n’en sont que deux exemples, pêchés au cours d'un spectacle qu’il serait vain de chercher à raconter ou à décrire.
 

Adèle Joulin © Louise Sari
 
La metteuse en scène Séverine Chavrier (avec Louise Sari, scénographie ; Martin Mallon et Quentin Vigier, vidéo ; Olivier Thillou, son, Jean Huleu, lumières) a su mettre en forme le désordre des sens et des sentiments avec beaucoup de justesse. Du commencement sur le thème des Variations Enigma d’Elgar, thème conducteur d'"Aria da Capo", jusqu’au mouvement lent de la Symphonie n° 1 de Mahler, la musique (pas forcément toujours classique) est présente, sous forme d’extraits, de bribes – des arrangements joués par les musiciens, ou des enregistrements – mais aussi par le biais d’images et de la voix d’interprètes du passé ou d'aujourd'hui.
Dans « Aria da capo », on peut, par exemple, entendre et voir, Samson François en interview, aussi bien que disposer, sans s’y attendre, d'une perspective totalement imprenable sur le décolleté de Katia Buniatishvili lors d’un concert dirigé par Zubin Mehta, ou encore découvrir Olivier Messiaen entouré de ses élèves du Conservatoire, nos irrévérencieux ados s’autorisant en parallèle de caustiques commentaires sur les membres de la « cour ». Tout comme, plus loin, sur certaines gloires du panthéon des compositeurs.
 
On rit, on sourit beaucoup durant « Aria da capo », on est touché, ému aussi par les interrogations de ces ados – interrogations que nous avons tous connues, chacun avec notre parcours, musical ou non. Pour eux, à l’inquiétude face au grand saut dans le monde adulte (les réseaux sociaux et les effets du confinement, thème juste effleuré, n’arrangeant rien), s’ajoute une jeunesse envahie par le travail de l’instrument, par l’exigence du professeur, à un âge où l’on aurait tellement envie de profiter de l’existence d’une manière « normale ».
 

Victor Gadin © Louise Sari

Ils savent aussi souligner le poids de l’héritage familial – et s’en moquer, joliment ! –, traduire leurs doutes quant au chemin qu'ils ont décidé d'emprunter (une très belle « lettre à Mozart »), ouvrir les portes de leur jardin secret (Areski et Monteverdi, moment merveilleux, Guilain et Ravel). Plus discret dans le spectacle, plus jeune aussi, Victor traduit la solitude avec laquelle rime si souvent l’adolescence, tandis que les trois autres protagonistes s’avouent ouvertement plus préoccupés par le sexe et la séduction.
Avec «Aria da capo », Séverine Chavrier regarde quatre tout jeunes musiciens droit dans les yeux avec une formidable acuité. L'adolescence est au cœur du sujet, mais la vieillesse ou l'anonymat de la masse symphonique sont aussi abordés. Encore trois dates pour découvrir un étonnnant et séduisant moment de théâtre musical ; ne tardez pas : 29, 30 et 31 octobre !
 
A propos de spectacle inclassable, notez que le remarquable « Vous qui savez ce qu’est l’amour » (de Romie Estèves et Jérémy Peret) d’après les Noces de Figaro, déjà vu à l’Athénée en février 2019, y sera repris du 9 au 13 novembre. (1)
 
Alain Cochard

(1) https://www.concertclassic.com/article/vous-qui-savez-ce-quest-lamour-au-theatre-de-lathenee-quelle-folle-journee-compte-rendu  
 
 
« Aria da Capo » – Paris, théâtre de l’Athénée, 28 octobre ; prochaines représentations les 29, 30 et 31 octobre 2021 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/aria-da-capo.htm
 
Photo © Louise Sari
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