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​Anna Vinnitskaya et Mikko Franck inaugurent la saison de l’Orchestre Philharmonique – Un regard singulier – Compte-rendu

Salle clairsemée – demi-jauge oblige – masque de rigueur pour le public comme partout, mais aussi, on ne va pas tarder à le découvrir, pour le chef et tous musiciens de l’Orchestre Philharmonique (souffleurs exceptés, évidemment) ;  l’atmosphère n’est pas follement joyeuse à l’Auditorium de Radio France ...  Mais l’essentiel est là pour la seconde date du programme inaugural de la formation : la musique et le désir de ses interprètes de la partager.
 
2 clarinettes, 2 cors, 2 trompettes, percussions, 2 violons, 2 violoncelles : début de soirée en effectif réduit avec Avant les clartés de l’aurore de Camille Pepin (1990), pièce donc Mikko Franck a dirigé la création la veille. Ainsi la lune sur la rose / Que la pluie alourdit encore / Répand sa mystique lueur / Avant les clartés de l’aurore : ces quelques vers de Pouchkine ont servi de point de départ à un ouvrage d’une petite dizaine de minutes écrit durant le confinement. Une franche réussite où la jeune compositrice montre une fois de plus un merveilleux art des timbres (un enregistrement de l’Orchestre de Picardie mêlant une œuvre originale, The Sound of Trees, à des arrangements de pages de Debussy et Lili Boulanger, l’a récemment illustré) (1). C. Pépin signe une musique onirique et mystérieuse, sensuelle et panthéiste. Cuivres et percussions jouent un rôle important, certes, mais la totalité palette de couleurs est exploitée avec une intelligence remarquable (superbe envolée lyrique du violoncelle, prenante intervention de la clarinette basse). Mouvante et prégnante immobilité de la nuit finissante ... ; le jour approche : il promet d’être beau.
 
Mikko Franck © Radio France - Christophe Abramowitz
 
Bien rare dans les programmes, la Messe de Stravinski suit, servie par des membres du Chœur (2) et de la Maîtrise de Radio France (bien préparés par leurs cheffes respectives, Martina Batič et Sofi Jeannin). Cette composition élaborée entre 1944 et 1948, sobre, dépouillée (seulement dix vents pour la partie instrumentale), trouve en Mikko Franck un serviteur aussi poète que pudique. Humble et secret, l’Agnus Dei conclusif est à l’image de l’ensemble de l’interprétation, d’une émouvante ferveur.
 
Après une (quasi-)création et une partition méconnue, le programme se referme sur l’un des plus fameux concertos post-romantiques qui se puisse trouver : le Troisième de Rachmaninov. Anna Vinnitskaya (photo) possède les moyens techniques requis par ce redoutable ouvrage mais se garde de tout tape-à-l’œil virtuose. Quand d'autres épuisent leur forces dans l’Allegro ma non tanto initial, la jeune femme privilégie le dialogue avec l’orchestre et une sobre musicalité (sur un tempo vraiment ma non tanto) — choix significatif, elle opte pour la petite cadence. C’est dans l’Intermezzo que bat le cœur de la partition : Vinnitskaya y livre une confidence aussi intense que contenue, portée par une direction complice et fouillée. Assez terne, son Steinway ne lui permet pas hélas de totalement déployer sa palette sonore, mais le résultat n’en demeure pas moins admirable, avant l’irruption d’un finale empli de bonheur virtuose, de sentiments plus ambigus aussi. 
Magnifique accueil du public et première des Valses nobles et sentimentales en bis ; un rien débraillée, mais si généreusement offerte !

L'intégrale de l'œuvre concertant de Rachmaninov de Radio France (inscrite dans un grand cycle consacré au maître russe) commence en beauté. Elle se poursuivra avec Benjamin Grosvenor, le National et Cristian Mačelaru dans le 2ème Concerto (24/09), Boris Berezovski, le Philhar et Yuri Temirkanov dans la Rhapsodie Paganini (7/04/21), puis Simon Trpčeski, le National et C. Mačelaru dans le 4ème Concerto (22/04/21). On conclura par le 1er, confié à Nicholas Angelich, au Philhar et à M. Franck (30/04/21).
 
Alain Cochard

Paris, Auditorium de Radio France, 19 septembre 2020
 
(1)Orchestre de Picardie, dir. Arie van Beek (#NoMadMusic NMM 074)
 
(2) Rappelons que fin juillet le Chœur de Radio France est devenu, avec la Cité de la Voix de Vézelay, l’un des deux nouveaux membres du réseau national des centres d’art vocal

Photo © Gela Megrelidze

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