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Andrei Korobeinikov en récital au Théâtre des Champs-Elysées –Etrange et captivant – Compte-rendu

A trente-deux ans, le Russe Andrei Korobeinikov (photo) compte parmi les solistes les plus intéressants de sa génération. Son récital au Théâtre des Champs-Elysées en apporte la preuve par le regard qu’il porte sur les grandes œuvres du répertoire, transmises avec une surprenante liberté d’approche.

Les trois Impromptus op. 90 de Schubert placés en ouverture de programme ne constituent pas une mise en doigts mais frappent par la grandeur de la conception, chaque pièce étant conçue comme un grand mouvement de sonate avec une attention toute particulière portée à la théâtralité et aux contrastes. Schubert rejoint Beethoven dans cette approche contrastée non dénuée de violence contenue (Impromptu op. 90 n° 2). Succédant à l’Elégie op. 3 n° 1 de Rachmaninov, les Variations sur un thème de Corelli, du même, prennent une profondeur et une cohérence avec un art de la construction et du dosage des sonorités qui apportent à cette opus austère une couleur et une sensualité séduisantes.

La seconde partie, toute lisztienne, débute par trois transcriptions de lieder de Schubert (Sei mir gegrüβt, Auf dem Wasser zu singen, Erlkönig) dans une interprétation très maîtrisée qui atteint une formidable puissance de suggestion. Dans la Sonate en si mineur jouée avec une technique sans faille, le soliste ne cherche pas à développer la dimension spectaculaire mais plutôt à imposer une architecture libre où le ton héroïque le dispute à une élévation quasi spirituelle.

Une aventure parfois étrange mais assumée avec cette manière de donner du temps au temps sans exclure le panache. Après le combat faustien contre Satan, Korobeinikov suscite l’étonnement du public (et même l’impatience) en proposant en bis le fameux 4’13’’ de Cage ; un long silence auquel personne ne s’attendait. Une façon de ménager une transition avant d’offrir un bouquet de quatre études de Scriabine et, pour boucler la boucle, de tutoyer l’inoxydable Moment musical n° 3 de Schubert. Dense et captivant.
 
Michel Le Naour

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Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 17 mars 2018

 

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